Je viens d’'ecrire `a ma femme une longue lettre*. Je vous avoue que son voyage me pr'eoccupe et m’inqui`ete beaucoup. Je lui ai dit les inconv'enients r'eels que je voyais `a le lui laisser entreprendre dans cette saison et dans les circonstances actuelles. Je ne r'ep'eterai pas ici toutes les raisons que je lui all`egue dans ma lettre. Ce serait trop long. D’ailleurs, en vous en parlant, elle vous les fera conna^itre. D’abord je crains beaucoup la fatigue du voyage
Puis donc l’impossibilit'e o`u l’on est de calculer juste `a d’aussi 'enormes distances, je crains fort qu’arriv'ee `a Munich, elle ne soit emp^ech'ee par un obstacle quelconque de continuer, et il suffirait d’un retard de quelques jours pour faire manquer tout son voyage et l’obliger de passer l’hiver en Allemagne. Ce qui serait tr`es p'enible pour elle, tr`es d'esagr'eable pour moi et entretiendrait pour tous deux de notables d'erangements. D’ailleurs, pour qu’`a son arriv'ee `a Turin nous ne nous trouvions pas replong'es dans de nouveaux embarras, il faut de toute n'ecessit'e que nous ayons obtenu du Minist`ere, avec l’aide d’Am'elie Kr"udener, de quoi faire face aux frais de prendre 'etablissement. Cette condition est de rigueur. Car si les embarras p'ecuniaires sont une grande calamit'e partout toujours, ils sont cent fois plus intol'erables dans un pays o`u l’on est tout `a fait 'etranger et en face d’une soci'et'e o`u vous ne pouvez esp'erer de trouver aucun point d’appui.
Voil`a quelques-unes des raisons que je lui ai expos'ees… Je veux, j’exige d’elle qu’apr`es les avoir m^urement pes'ees et m'edit'ees elle prenne une d'etermination parfaitement libre et spontan'ee. Car elle seule est en 'etat d’avoir un avis sur ce qu’il y a `a faire, puisqu’elle seule conna^it `a fond notre position toute enti`ere. Je sais que le parti de passer l’hiver `a P'etersb
Quant `a moi, gr^ace `a la modestie du mode que j’ai choisi pour faire ma course de courrier, je suis parvenu `a ne d'epenser que cent ducats. Il m’en reste encore deux cents. Cet argent doit me suffire pour faire arriver `a Turin et me mettre en mesure d’attraper le bout de l’ann'ee.
Nous voil`a de nouveau dans les lettres. Est-il vrai qu’il y a trois semaines `a peine j’'etais aupr`es de vous. Ou bien n’'etait-ce qu’un r^eve. Puiss'e-je bient^ot m’endormir. Adieu, cher papa, adieu, ch`ere maman, embrassez de ma part Doroth'ee et son enfant et dites mille amiti'es `a son mari. T. T.
Мюнхен. 29 августа/10 сентября 1837