Je dois ajouter que, pour nombre d'entre eux, je n'étais pas
un inconnu. Certains avaient lu de mes livres (le plus
souvent c'était
J'ai dit que je m'intéressais moins aux paysages... J'aurais voulu raconter pourtant les admirables forêts du Caucase, celle à l'entrée de la Kakhétie, celle des environs de Batoum, celle surtout de Bakouriani au-dessus de Borjom; je n'en connaissais pas, je n'en imagine pas, de plus belles: aucun bois taillis n'y cache les fûts des grands arbres; forêts coupées de clairières mystérieuses où le soir tombe avant la fin du jour, et l'on imagine le petit Poucet s'y perdant. Nous avions traversé cette forêt merveilleuse en nous rendant à un lac de montagne et l'on nous fit l'honneur de nous affirmer que jamais aucun étranger encore n'y était venu. Point n'était besoin de cela pour me le faire trouver admirable. Sur ses bords sans arbres, un étrange petit village (Tabatzkouri) enseveli neuf mois de l'année sous la neige et que j'aurais pris plaisir à décrire... Ah! que n'étais-je venu simplement en touriste! ou en naturaliste ravi de découvrir là-bas quantité de plantes nouvelles, de reconnaître sur les hauts plateaux la «scabieuse du Caucase» de mon jardin... Mais ce n'est point là ce que je suis venu chercher en U.R.S.S.. Ce qui m'y importe c'est l'homme, les hommes, et ce qu'on en peut faire, et ce qu'on en a fait. La forêt qui m'y attire, affreusement touffue et où je me perds, c'est celle des questions sociales. En U.R.S.S. elles vous sollicitent, et vous pressent, et vous oppressent de toutes parts.
II
De Léningrad j'ai peu vu les quartiers nouveaux. Ce que j'admire en Léningrad, c'est Saint-Pétersbourg. Je ne connais pas de ville plus belle; pas de plus harmonieuses fiançailles de la pierre, du métal 5 et de l'eau. On la dirait rêvée par Pouchkine ou par Baudelaire. Parfois, aussi elle rappelle des peintures de Chirico. Les monuments y sont de proportions parfaites, comme les thèmes dans une symphonie de Mozart. «Là tout n'est qu'ordre et beauté». L'esprit s'y meut avec aisance et joie.
Je ne suis guère en humeur de parler du prodigieux musée de l'Ermitage; tout ce que j'en pourrais dire me paraîtrait insuffisant. Pourtant, je voudrais louer en passant le zèle intelligent qui, chaque fois qu'il se pouvait, groupe autour d'un tableau tout ce qui, du même maître, peut nous instruire: études, esquisses, croquis, ce qui explique la lente formation de l'oeuvre.
En revenant de Léningrad, la disgrâce de Moscou frappe plus encore. Même elle exerce son action opprimante et déprimante sur l'esprit. Les bâtiments, à quelques rares exceptions près, sont laids (pas seulement les plus modernes), et ne tiennent aucun compte les uns des autres. Je sais bien que Moscou se transforme de mois en mois; c'est une ville en formation; tout l'atteste et l'on y respire partout le devenir. Mais je crains qu'on ne soit mal parti. On taille, on défonce, on sape, on supprime, l'on reconstruit, et tout cela comme au hasard. Et Moscou reste, malgré sa laideur, une ville attachante entre toutes: elle vit puissamment. Cessons de regarder les maisons: ce qui m'intéresse ici, c'est la foule.