J'y suis retourné souvent. C'est un endroit où l'on s'amuse;
comparable à un Luna-Park qui serait immense. Aussitôt la
porte franchie on se sent tout dépaysé. Dans cette foule de
jeunes gens, hommes et femmes, partout le sérieux, la
décence; pas le moindre soupçon de rigolade bête ou
vulgaire, de gaudriole, de grivoiserie, ni même de flirt. On
respire partout une sorte de ferveur joyeuse. Ici, des jeux
sont organisés; là, des danses; d'ordinaire un animateur ou
une animatrice y préside et les règle, et tout se passe avec
un ordre parfait. D'immenses rondes se forment où chacun
pourrait prendre part; mais les spectateurs sont toujours
beaucoup plus nombreux que les danseurs. Puis ce sont des
danses et des chants populaires, soutenus et accompagnés le
plus souvent par un simple accordéon. Ici, dans cet espace
enclos et pourtant d'accès libre, des amateurs s'exercent à
diverses acrobaties; un entraîneur surveille les «sauts
périlleux», conseille et guide; plus loin, des appareils de
gymnastique, des agrès; l'on attend patiemment son tour;
l'on s'entraîne. Un grand espace est réservé aux terrains de
volley ball; et je ne me lasse pas de contempler la
robustesse, la grâce et la beauté des joueurs. Plus loin ce
sont les jeux tranquilles: échecs, dames et quantité de
menus jeux d'adresse ou de patience, dont certains que je ne
connaissais pas, extrêmement ingénieux; comme aussi quantité
de jeux exerçant la force, la souplesse ou l'agilité, que je
n'avais vus nulle part et que je ne puis chercher à décrire,
mais dont quelques-uns auraient certainement grand succès
chez nous. De quoi vous occuper pendant des heures. Il y en
a pour les adultes, d'autres pour les enfants. Les tout
petits ont leur domaine à part, où ils trouvent de petites
maisons, de petits trains, de petits bateaux, de petites
automobiles et quantité de menus instruments à leur taille.
Dans une grande allée et faisant suite aux jeux tranquilles
(qui toujours ont tant d'amateurs qu'il faut parfois
attendre longtemps pour trouver, à son tour, une table
libre), sur des panneaux de bois, des tableaux proposent
rébus, énigmes et devinettes. Tout cela, je le répète, sans
la moindre vulgarité; et toute cette foule immense, d'une
tenue parfaite, respire l'honnêteté, la dignité, la décence;
sans contrainte aucune d'ailleurs et tout naturellement. Le
public, en plus des enfants, est presque uniquement composé
d'ouvriers qui viennent là s'entraîner aux sports, se
reposer, s'amuser ou s'instruire (car il y a aussi des
salles de lecture, de conférences, des cinémas, des
bibliothèques, etc...). Sur la Moskowa, des piscines. Et,
de-ci, de-là, dans cet immense parc, de minuscules estrades
où pérore un professeur improvisé; ce sont des leçons de
choses, d'histoire ou de géographie avec tableaux à l'appui;
ou même de médecine pratique, de physiologie, avec grand
renfort de planches anatomiques, etc. On écoute avec un
grand sérieux. Je l'ai dit, je n'ai surpris nulle part le
moindre essai de moquerie
2.
Mais voici mieux : un petit théâtre en plein air; dans la
salle ouverte, quelque cinq cents auditeurs, entassés (pas
une place vide) écoutent, dans un silence religieux, un
acteur réciter du Pouchkine (un chant d'Eugène Onéguine).
Dans un coin du parc, près de l'entrée, le quartier des
parachutistes. C'est un sport fort goûté là-bas. Toutes les
deux minutes, un des trois parachutes, détaché du haut d'une
tour de quarante mètres, dépose un peu brutalement sur le
sol un nouvel amateur. Allons! qui s'y risque? On
s'empresse; on attend son tour; on fait queue. Et je ne
parle pas du grand théâtre de verdure où, pour certains
spectacles, s'assemblent près de vingt mille spectateurs.
Le parc de culture de Moscou est le plus vaste et le mieux
fourni d'attractions diverses; celui de Léningrad, le plus
beau. Mais chaque ville en U.R.S.S., à présent, possède son
parc de culture, en plus de ses jardins d'enfants.
J'ai également visité, il va sans dire, plusieurs usines. Je
sais et me répète que, de leur bon fonctionnement dépend
l'aisance générale et la joie. Mais je n'en pourrais parler
avec compétence. D'autres s'en sont chargés; je m'en
rapporte à leurs louanges. Les questions psychologiques
seules sont de mon ressort; c'est d'elles, surtout et
presque uniquement, que je veux ici m'occuper. Si j'aborde
de biais les questions sociales, c'est encore au point de
vue psychologique que je me placerai.
*
*
*
*
*
L'âge venant, je me sens moins de curiosité pour les
paysages, beaucoup moins, et si beaux qu'ils soient; mais de
plus en plus pour les hommes. En U.R.S.S. le peuple est
admirable; celui de Géorgie, de Kakhétie, d'Abkhasie,
d'Ukraine (je ne parle que de ce que j'ai vu), et plus
encore, à mon goût, celui de Léningrad et de la Crimée.