Sébastopol, dernière étape de notre voyage. Sans doute, il est en U.R.S.S. des villes plus intéressantes ou plus belles, mais nulle part encore je n'avais aussi bien senti combien je resterais épris. Je retrouvais à Sébastopol, moins préservée, moins choisie qu'à Soukhoum ou Sotchi, la société, la vie russe entière, avec ses manques, ses défauts, ses souffrances, hélas! à côté de ses triomphes, de ses réussites qui permettent ou promettent à l'homme plus de bonheur. Et, suivant les jours, la lumière adoucissait l'ombre, ou au contraire l'épaississait. Mais, autant que le plus lumineux, ce que je pouvais voir ici de plus sombre, tout m'attachait, et douloureusement parfois, à cette terre, à ces peuples unis, à ce climat nouveau qui favorisait l'avenir et où l'inespéré pouvait éclore... C'est tout cela que je devais quitter.
Et déjà commençait à m'étreindre une angoisse encore inconnue: de retour à Paris que saurais-je dire? Comment répondre aux questions que je pressentais ? L'on attendait de moi certainement des jugements tout d'une pièce. Comment expliquer que, tour à tour, en U.R.S.S., j'avais eu (moralement) si chaud, et si froid? En déclarant à nouveau mon amour allais-je devoir cacher mes réserves et mentir en approuvant tout? Non; je sens trop qu'en agissant ainsi je desservirais à la fois l'U.R.S.S. même et la cause qu'elle représente à nos yeux. Mais ce serait une très grave erreur d'attacher l'une à l'autre trop étroitement de sorte que la cause puisse être tenue pour responsable de ce qu'en U.R.S.S. nous déplorons.
* * * * *
L'aide que l'U.R.S.S. vient d'apporter à l'Espagne nous montre de quels heureux rétablissements elle demeure capable.
L'U.R.S.S. n'a pas fini de nous instruire et de nous étonner.
I
PRONONCÉ SUR LA PLACE ROUGE A MOSCOU
POUR LES FUNÉRAILLES DE MAXIME GORKI
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La mort de Maxime Gorki n'assombrit pas seulement les Etats Soviétiques, mais le monde entier. Cette grande voix du peuple russe, que Gorki nous faisait entendre, a trouvé des échos dans les pays les plus lointains. Aussi n'ai-je pas à exprimer ici seulement ma douleur personnelle, mais celle des lettres françaises, celle de la culture européenne, de la culture de tout l'univers.
La culture est demeurée longtemps l'apanage d'une classe privilégiée. Pour être cultivé, il fallait des loisirs: une classe de gens peinait pour permettre à un très petit nombre de jouir de la vie, de s'instruire, et le jardin de la culture, des belles-lettres et des arts, restait une propriété privée où seuls pouvaient avoir accès non les plus intelligents, les plus aptes, mais ceux qui, depuis leur enfance, s'étaient trouvés à l'abri du besoin. Sans doute pouvait-on constater que l'intelligence n'accompagnait pas nécessairement la richesse: dans la littérature française, un Molière, un Diderot, un Rousseau sortaient du peuple; mais leurs lecteurs restaient des gens de loisir.
Lorsque la Grande Révolution d'Octobre a soulevé les masses profondes des peuples russes, on a dit en Occident, on a répété, et même l'on a cru que cette grande vague de fond allait submerger la culture. Dès qu'elle cessait d'être un privilège, la culture n'était-elle pas en danger?
C'est en réponse à cette question que des écrivains de tous les pays se sont groupés dans le sentiment très net d'un devoir urgent: oui la culture est menacée; mais le péril pour elle n'est nullement du côté des forces révolutionnaires et libératrices; il vient au contraire des partis qui tentent de subjuguer ces forces, de les briser, de mettre l'esprit même sous le boisseau. Ce qui menace la culture ce sont les fascismes, les nationalismes étroits et artificiels qui n'ont rien de commun avec le vrai patriotisme, l'amour profond de son pays. Ce qui menace la culture c'est la guerre à laquelle fatalement, nécessairement, ces nationalismes haineux conduisent.
Je devais présider la conférence internationale pour la défense de la culture qui se tient présentement à Londres. Les fâcheuses nouvelles de la santé de Maxime Gorki m'ont appelé précipitamment à Moscou. Sur cette Place Rouge qui déjà put voir tant d'événements glorieux et tragiques, devant ce mausolée de Lénine vers qui tant de regards sont fixés, je tiens à déclarer hautement, au nom des écrivains assemblés à Londres et en mon nom: c'est aux grandes forces internationales révolutionnaires qu'incombent le soin, le devoir de défendre, de protéger et d'illustrer à neuf la culture. Le sort de la culture est lié dans nos esprits au destin même de l'U.R.S.S.. Nous la défendrons.