Que Staline ait toujours raison, cela revient à dire : que Staline a raison de tout.
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Supprimer l'opposition dans un Etat, ou même simplement l'empêcher de se prononcer, de se produire, c'est chose extrêmement grave: l'invitation au terrorisme. Si tous les citoyens d'un Etat pensaient de même, ce serait sans aucun doute plus commode pour les gouvernants. Mais, devant cet appauvrissement, qui donc oserait encore parler de «culture»? Sans contrepoids, comment l'esprit ne verserait-il pas tout dans un sens? C'est, je pense, une grande sagesse d'écouter les partis adverses; de les soigner même au besoin, tout en les empêchant de nuire: les combattre, mais non les supprimer. Supprimer l'opposition... il est sans doute heureux que Staline y parvienne si mal.
«L'humanité n'est pas simple, il faut en prendre son parti; et toute tentative de simplification, d'unification, de réduction par le dehors sera toujours odieuse, ruineuse et sinistrement bouffonne. Car l'embêtement pour Athalie, c'est que c'est toujours Eliacin, l'embêtant pour Hérode, c'est que c'est toujours la Sainte Famille qui échappe»,— écrivais-je en 1910 20.
V
J'écrivais avant d'aller en U.R.S.S.:
Je crois que la valeur d'un écrivain est liée à la force
révolutionnaire qui l'anime, ou plus exactement (car je ne
suis pas si fou que de ne reconnaître de valeur artistique
qu'aux écrivains de gauche): à sa force d'opposition. Cette
force existe aussi bien chez Bossuet, Chateaubriand, ou, de
nos jours, Claudel, que chez Molière, Voltaire, Hugo et tant
d'autres. Dans notre forme de société, un grand écrivain, un
grand artiste, est essentiellement anticonformiste. Il
navigue à contre courant. Cela était vrai pour Dante, pour
Cervantes, pour Ibsen, pour Gogol... Cela cesse d'être vrai,
semble-t-il pour Shakespeare et ses contemporains, dont John
Addington Symonds dit excellement:
Voilà ce que je me demandais avant d'aller en U.R.S.S..
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—«Vous comprenez, m'expliqua X..., ce n'était plus du tout cela que le public réclamait; plus du tout cela que nous voulons aujourd'hui. Il avait donné précédemment un ballet très remarquable et très remarqué. («Il», c'était Chestakovitch, dont certains me parlaient avec cette sorte d'éloges que l'on n'accorde qu'aux génies.) Mais que voulez-vous que le peuple fasse d'un opéra dont, en sortant, il ne peut fredonner aucun air?» (Quoi! c'est donc là qu'ils en étaient! Et pourtant X..., artiste lui-même, et fort cultivé, ne m'avait tenu jusqu'alors que des propos intelligents.)
»Ce qu'il nous faut aujourd'hui, ce sont des oeuvres que tout le monde puisse comprendre, et tout de suite. Si Chestakovitch ne le sent pas de lui-même, on le lui fera bien sentir en ne l'écoutant même plus.»
Je protestai que les oeuvres parfois les plus belles, et même celles qui sont appelées à devenir les plus populaires, ont pu n'être goûtées d'abord que par un très petit nombre de gens; que Beethoven lui-même... Et, lui tendant un livre que précisément j'avais sur moi: Tenez, lisez ceci: