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Très chère amie,

Sache tout d’abord que j’ai reçu vingt réponses positives et que, par conséquent, dix-neuf autres mathelles lisent en ce moment, ou vont bientôt lire, une copie de la lettre que tu tiens entre les mains. Vingt sur les quelque trois mille cinq cents domaines que compte le nouveau monde (mais tous n’ont pas reçu mon message, loin s’en faut), cela peut te paraître dérisoire, décevant, désespérant.

J’y vois quant à moi, l’éternelle optimiste, un signe des plus encourageants.

Il nous faut en effet retirer un certain nombre de domaines passés entièrement ou partiellement sous le contrôle des protecteurs des sentiers. Combien ceux-là sont-ils ? Des centaines sans doute. Espérons seulement qu’ils n’atteignent pas le nombre fatidique de mille, un seuil qui, je l’avoue, ne nous laisserait que peu d’espoir de redresser la situation. Il nous faut ensuite retrancher les mathelles farouchement ancrées dans la certitude que la violence n’est pas inscrite dans le sentier d’Ellula. J’ai essayé de convaincre ces dernières, mais mes arguments n’ont pas pesé lourd face à une croyance enracinée depuis plusieurs générations. Combien sont-elles, ces mères qui se laisseront dépouiller plutôt que d’aller à l’encontre de leurs convictions les plus profondes ? Mille cinq cents ? Deux mille ? Il nous faut enfin compter les hésitantes, les récalcitrantes, les irrésolues, celles qui attendent nos premières actions, nos premiers coups d’éclat pour prendre leur décision. C’est ce dernier groupe que nous devons à tout prix conquérir. Une fois que nous aurons déclenché le mouvement, elles basculeront dans notre camp, elles viendront se joindre à nous comme l’eau se rue dans un siphon amorcé, elles grossiront nos rangs avec d’autant plus d’enthousiasme qu’elles voudront se faire pardonner leurs tergiversations, qu’elles seront avides de se draper dans un pan de notre gloire, elles deviendront nos bras les plus féroces et nos recruteuses les plus efficaces.

Vous formez donc le noyau dur, mes amies. Quels que soient les jugements qui seront portés sur cette période noire de notre histoire, le mérite vous appartiendra, plein, entier, indivisible. Et lorsque vos descendants chanteront les louanges des mathelles victorieuses des couilles-à-masques, ils parleront de ces vingt et une femmes qui prirent un jour la décision de s’unir pour défendre coûte que coûte l’héritage sacré de l’Estérion, pas de celles qui arrivèrent après, qui volèrent au secours du succès.

Chacune de vous emmène avec elle une cinquantaine d’hommes en moyenne, ce qui porte les effectifs de notre petite armée à un peu plus de mille soldats. Je t’assure, chère amie, je vous assure, vous toutes, que ce n’est pas rien, ayant moi-même réussi à contenir les assauts des protecteurs des sentiers, très supérieurs en nombre, avec une troupe maintenant réduite à une quinzaine d’éléments. Au prix de pertes douloureuses, certes, mais nous sommes entrées en guerre et la guerre est une déesse cruelle qui exige son lot quotidien de sacrifices et de deuils. Ce monde n’avait probablement jamais connu de conflit avant l’arrivée de nos ancêtres. Constatons donc qu’il est illusoire, voire impossible, de dissocier le pire du meilleur chez l’être humain. Nous transportons dans nos gènes, dans nos fibres, ce goût du malheur qui valut tant de souffrance à nos ascendants dans le ventre de l’Estérion et sur leur monde d’origine. Notre présent, cet insaisissable présent que j’ai cherché en vain à capturer durant mes années de djemale au conventuel de Chaudeterre – je ne pense pas qu’une seule d’entre vous ignore encore mon passé, on y faisait souvent allusion aux réunions des mathelles, et plutôt sur le mode sarcastique –, se terre aussi dans cette mémoire profonde que nous n’avons pas su transformer.

Etait-ce d’ailleurs une nécessité de la transformer ? N’était-ce pas déjà une manière de se fuir et, par conséquent, d’engendrer ce décalage dans lequel s’engouffrent, selon Djema, tous les malheurs de l’humanité ? Acceptons-nous maintenant telles que nous sommes, filles de ces hommes et de ces femmes qui eurent pour compagnes la division et la violence, combattons sans peur et sans faiblesse, tuons sans pitié ces adorateurs de Maran qui versèrent le premier sang.

J’ai souhaité éprouver ma détermination en égorgeant moi-même le jeune prisonnier dont je vous avais parlé dans la missive précédente. Je n’ai pas tremblé au moment de plonger le couteau dans sa gorge. Il m’a agonie d’insultes jusqu’à ce que ma lame lui sectionne les cordes vocales, il m’a injuriée des yeux jusqu’à ce que la mort les voile, preuve que les couilles-à-masques emportent leur folie avec eux sur le chemin des chanes, preuve qu’il n’y a aucune mansuétude ni aucun revirement d’attitude à attendre de leur part. Ce sont des blocs de haine pure que nous devons désagréger, dissoudre dans le feu de notre propre résolution, de notre propre… haine. Œil pour œil, dent pour dent, haine pour haine, et que les plus méritants l’emportent ! L’exécution de notre jeune otage ne m’a pas accablée de remords, elle a au contraire soufflé sur ma colère, sur mon désir pur, sincère, brillant de débarrasser la surface du nouveau monde de l’engeance détestable des protecteurs des sentiers.

Le lieu de rendez-vous n’entraînera de difficulté majeure pour aucune d’entre vous. Vous êtes toutes les mères de mathelles situés au nord de Cent-Sources, non loin du mien par conséquent, vous êtes toutes mes très chères voisines. Les mères des domaines originels ont été prévenues, j’en ai eu la confirmation, mais aucune d’elles n’a daigné me répondre, comme si elles s’estimaient bien au-dessus de ces contingences misérables, comme si l’ancienneté de leurs terres les dispensait de la menace des couilles-à-masques. Qu’elles s’étouffent dans leur mépris, ces femmes qui s’élisent comme les reines des reines, comme les descendantes les plus pures des héros de l’Estérion ! Nous nous passerons de leur appui de la même manière que nous nous sommes passées de leur bénédiction pour fonder nos mathelles. Souvenez-vous d’elles, souvenez-vous de ces mijaurées qui s’opposaient à toute décision ou à toute initiative susceptibles de remettre en cause leurs privilèges, souvenez-vous qu’elles figeaient notre monde dans un conservatisme oppressant, qu’elles vivaient déjà dans le passé, dans la négation des enseignements d’Ellula, ces mêmes enseignements dont elles se prétendent les représentantes les plus illustres. S’il m’est permis ici de me montrer grossière – ce sera, je pense, la meilleure façon de révéler le fond de ma pensée –, je conchie leur prestige, je conchie leurs maisons, je conchie leurs bavardages, je conchie leurs intrigues, je conchie leur hypocrisie et leurs mines perpétuellement outragées.

M’étant ainsi soulagée, je t’invite à me rencontrer au milieu de la nuit prochaine au lieu-dit des Trois Cornes, au bord de la rivière Abondance. Que celles qui ne connaissent pas cet endroit suivent la rive orientale d’Abondance à partir du croisement des Quatre Chemins du nord. Elles finiront par tomber sur une crique profonde, surmontée de trois rochers en forme de corne. Venez toutes accompagnées d’une escorte solidement armée au cas, probable, hélas ! où vous feriez de mauvaises rencontres.

Le présent nous convie à la fermeté et à la vigilance. Je t’embrasse du fond du cœur, très chère amie.

Merilliam.
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