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Jozeo s’approcha de la yonkine, le poignard à la main. Les larmes aux yeux, la gorge nouée, Ankrel s’agrippa à une saillie rocheuse pour ne pas s’interposer entre le lakcha et l’animal. Au second plan, les vaguelettes des grandes eaux, d’un calme étonnant, léchaient la grève de terre rougeâtre et les récifs à demi immergés. Les trois chasseurs rescapés, Mazrel, Stoll et Gehil, assistaient à la scène sans qu’une émotion n’altère leurs traits. Les cinq autres yonks broutaient avec avidité les feuilles et les ramilles de buissons desséchés.

D’une main Jozeo caressa le mufle de la yonkine et, de l’autre, leva son poignard.

« Tu aurais pu en choisir une autre ! » s’écria Ankrel, incapable de se contenir plus longtemps.

Jozeo abaissa son bras et lui décocha un regard mi-complice, mi-courroucé.

« Elle nous a sauvé la vie ! poursuivit Ankrel.

— La ventresec a sauvé ta jambe, et tu as su la remercier.

— Cette yonkine n’a rien à voir avec nos stupides histoires d’hommes ! Il n’y a pas d’enjeu entre elle et nous. »

Jozeo entortilla machinalement une de ses mèches autour de son index et, la tête penchée, observa un petit moment les ondulations apaisées des grandes eaux.

Une journée et une nuit avaient été nécessaires aux six yonks et aux cinq hommes survivants pour se remettre de la traversée. Contrairement à ce qu’ils avaient espéré, ils n’avaient trouvé ni eau potable ni nourriture sur le deuxième continent, et, après quelques heures de vaines recherches, ils avaient décidé d’abattre un de leurs yonks.

« Tu ne comprends rien, petit frère, murmura Jozeo avec douceur. Il s’agit seulement de prévenir les tentations de faiblesse comme on extirpe les mauvaises herbes.

— Quelles tentations ? Elle s’est arrachée des eaux montantes avec deux cavaliers sur le dos, elle s’est montrée deux fois plus courageuse et résistante que les autres yonks ! »

Elle en avait même rattrapé certains alors que l’eau lui montait au poitrail, elle avait parcouru la dernière lieue à la nage, luttant contre la froidure de l’eau et les courants contraires, elle avait attendu que ses cavaliers sautent à terre pour se coucher sur le flanc et goûter enfin le repos.

« On ne tue pas les meilleurs éléments, reprit Ankrel. Ou alors cette expédition n’aurait aucun sens.

— Les meilleurs ne sont sûrement pas ceux qui entretiennent leur sensiblerie, rétorqua Jozeo. Nous devons trancher sans pitié nos attaches émotionnelles parasitaires ou elles finissent par nous étouffer. Pourquoi veux-tu épargner cette yonkine, petit frère ? Parce qu’elle t’a sauvé la vie ou parce que tu t’apitoies sur toi-même ? »

Ankrel ne répondit pas, le lakcha avait touché juste. Ses élans, ses remords, ses peurs, ses doutes étaient les fruits empoisonnés de ces émotions qui se recréaient sans cesse en changeant d’objet : elles l’avaient lié à sa mère, à Jozeo son modèle, à la fille qu’il avait violée dans la grange délabrée, à la ventresec qui avait guéri sa jambe, à la yonkine qui l’avait sauvé des eaux… Un protecteur des sentiers n’avait pas de comptes à rendre aux autres humains. Seule la toute-puissance de Maran le soutenait sur son sentier de solitude et de dépouillement, cette même puissance qui avait écarté les grandes eaux devant quelques-uns de ses fils. Et lui, Ankrel, faisait partie des privilégiés qui avaient vu s’accomplir le prodige, qui s’étaient lancés dans une chevauchée intrépide sous l’œil attentif de l’enfant-dieu. Pourquoi donc se laissait-il emberlificoter à la moindre occasion par ses émotions ? Il s’était engagé dans un sentier dont il refusait les servitudes, il gardait un pied dans le passé, comme s’il se ménageait une possibilité de revenir en arrière, comme s’il admettait l’idée qu’il pouvait s’être… trompé.

Pourtant, il en était conscient, il ne pouvait pas revenir en arrière et, s’il s’était trompé, il n’avait pas d’autre choix que d’aller jusqu’au bout de son erreur.

Il tira son couteau de sa gaine et s’avança vers la yonkine. Les jambes fléchies, le bras tendu, le poignard à hauteur de la poitrine, Jozeo se méprit sur les intentions de son cadet, se tint prêt à combattre, puis il comprit que le mouvement d’Ankrel ne le concernait pas, sourit, se détendit et se recula de deux pas.

Ankrel posa la main sur le chanfrein de la yonkine et se tourna vers Jozeo.

« Je suis venu à ton secours pendant la traversée, murmura-t-il. Est-ce que tu me tueras pour ça ?

— Nous sommes frères. On n’a jamais vu les membres d’un même corps se battre entre eux. Presse-toi, nous avons faim. »

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