J'enregistre l'hommage, mais la tâche qui nous attend est ardue, car il s'agit maintenant de filer d'ici et de traverser la jungle. J'ai de plus en plus l'estomac dans les talons. Je sens venir le moment où mes jambes vont composer un «x» parfait. Bast, comme on disait au siècle dernier, je m'alimenterai plus tard. Le véritable homme d'action ne doit pas avoir de ces soucis, ou alors ceux-ci sont des cadets.
Avant de vider les lieux, j'hésite à enfermer les quatre gardes estourbis dans la geôle. Mais je décide qu'à cause des micros dont celle-ci est truffée cela ne servirait de rien car ils pourraient aussi bien donner l'alerte. Ce qu'il faut, c'est gerber en vitesse, sans trop se préoccuper du temps qu'il va faire.
— Je vais marcher devant, fais-je à mes amis. Vous autres, imitez-moi en tous points. Il s'agit de franchir un cordon de factionnaires. J'en ai assaisonné un, et c'est par la même brèche qu'il nous faut filer.
Silencieux comme des ombres (oh, la belle métaphore) nous rebroussons à trois le chemin que j'ai emprunté seul (faut avoir opinion sur rue pour se permettre de telles tournures de phrases, non?). Nous- marchons, courbés en deux, dans les zones obscures. Il y en a de plus en plus, vu que des nuages s'accumulussent devant la lune. Je me repère dans le camp, zigzague entre les bâtiments, cours d'un arbre à l'autre, surveille le comportement de mes deux lascars.
Tout fonctionne bien, mais voilà-t-il pas qu'une sirène se met à ululer comme une perdue dans le silence nocturne! On dirait une corne de brume. Elle parle du nez! Son grand cri geignard et féroce s'enfle, s'enfle, balayant le sommeil, secouant la léthargie ambiante, faisant se multiplier les lumières.
— Hé, Gars, me chuchote le Gros, t'as pas l'impression qu'on l'a dans le…
Je n'entends pas la fin de sa phrase, biscotte une recrudescence de la sirène, et je ne saurai jamais ce dont parlait Béru, ni ce où donc on devait l'avoir.
CHAPITRE XII
Quand j'étais chiare, je donnais toujours mes sucres d'orge aux copains, ce qui faisait dire à mon entourage que j'étais «trop gentil» et qu'un jour «ça me perdrait».
M'est bien avis, les z'enfants, que ce jour funeste est arrivé. Si j'avais buté les gardes au lieu de seulement leur colmater les chicots à la crème de marron, je n'en serais pas là. Ça nous aurait laissé le temps de nous carapater et on jouirait d'une vue imprenable sur l'avenir. Au lieu de ça, on a, comme qui dirait, notre date de naissance et notre date de décès qui sont en train de joindre les deux bouts.
Ils avaient pas dû se gaver de somnifère, les habitants du camp, car en moins d'un et demi, tout le monde est sur le pied de guérilla. Ça fourmille sec, d'un bord à l'autre de la coquette station balnéaire. Je me dis que si on ne tente pas un dernier «petit-quéque-chose», on va avoir droit à la retraite d'escadre aussi sec et donner de quoi se goinfrer aux asticots vietnamiens.
N'importe, il faut lutter, pour le sport. On va se laisser faire le coup du berger, comme aux échecs, sans réagir, sans déplacer ses pions, des foie! Béru c'est ma tour, Curtis, mon dingue, et moi je suis la reine des pommes. Avec trois pièce aussi maîtresses, on n'a pas le droit de se laisser bloquer le barbu sans se rebiffer.
Pour l'instant, nous nous trouvons contre un baraquement. D'un signe j'intime à mes compagnons l'ordre de se coucher.