On nous débarque devant un bâtiment de plain-pied qui, extérieurement, ressemble à une vaste case de bambou, mais qui, intérieurement, s'avère en fibro-ciment renforcé. Le local est divisé en deux pièces. La première est un poste de garde, la deuxième une cellule. Toutes les geôles du monde sont bâties sur le même principe. Malgré leur divergences pratiques, les hommes, qu'ils soient de l'Est ou de l'Ouest, se soumettent à des normes identiques. Une salle de bains, des gogues, une chambre à coucher, un terrain de sport tous pareils sous toutes les latitudes, mes fils. Et ceux qui les utilisent le font de la même manière. Quelle différence y a-t-il entre un buzinesmane de Detroit et un coolie de Pékin lorsqu'ils se mettent la boyasse à jour! La position est la même pour le type qui a des actions en bourse que pour celui qui a des bourses en notion. Toutefois, en ce qui concerne la prison (puisqu'il faut l'appeler par son nom) des Vietnamiens, je dois porter à votre connaissance, en vertu des pouvoirs que je me suis conférés, comme disait Charles-le-Sauveur, que la cellule n'a pas de fenêtre. Deux conduits d'aération, une forte ampoule électrique grillagée et une seule porte donnant sur le poste de garde. Dans la cellule, quatre lits de camp, un lavabo, une tablette fixée au mur et quatre escabeaux: c'est pas le
— Vous n'auriez pas un petit quèque chose à boire, si j'oserais me permettre? leur demande Bérurier.
Les quatre jaunes se retirent sans un mot ni une mimique et nous commençons à nous fourbir les articulations, le Gros et moi, déconfits comme deux brochets dans une nasse, à cela près que les brochets ne se massent jamais les chevilles sans un cas de force majeure: le camp amerloque, la dure renversée lorsque nous avons découvert l'identité de Laura, le sommeil gazeux, le voyage en hélicoptère… Y a de l'action, hein? Et des surprises!
Béru tousse comme un porte-cierges un soir de Noël. Je le vois s'approcher du robinet, pour la troisième fois, l'ouvrir et regarder dégouliner l'eau d'un œil désenchanté.
— Tu vas voir que je finirai par en boire, lamente mon ami. Je traine une de ces pépies, que ma langue ressemble à un morceau de paillasson.
Je tends l'oreille aux rumeurs du camp. De lourds convois font frémir le sol. On perçoit des tac-tac de mitrailleuses, par intermittence. Il s'agit de tirs d'entraînement. Des explosions plus sourdes et plus fortes indiquent qu'on se sert également de rocketts.
— T'es pas causant, me reproche le cher Obèse.
— L'homme qui médite a droit au silence, Gros.
— Tu trouves que c'est le moment de méditer?
— La méditation est la suprême ressource du prisonnier.
La philosophie, sur l'esprit béruréen, c'est comme la pluie sur un plumage de canard: ça glisse dessus sans le pénétrer.
— Faut gamberger le moins possible, affirme mon compagnon, si t'as la moulinette qui s'abandonne, deviens chiffe-molle, mon pote! Est-ce que c'est au moyen de sortir d'ici que tu penses?
— Non. Je voudrais percer le secret de Curtis.
— Alors prends une chignole, mais te fous pas le caberlot hors-jeu, Mec.
Néanmoins, il questionne après un temps de réflexion:
— Qu'est-ce t'appelle le secret de Curtis?
J’hésite à lui donner un cours de Curtisation; la détention, le climat, la déshydratation ne conditionnent pas Béru pour une gymnastique mentale. Il a déjà du repos, du jeu dans les engrenages cervicaux, alors vous pensez…
Mais il insiste:
— Ben développe, mon pote, je suis preneur.
— Pourquoi Curt a-t-il été condamné à mort par les Ricains? Parce que, après avoir été fait prisonnier par les Viets, il a ramené un zinc piégé et que les hommes de son escadrille ont juré ensuite qu'il était de connivence avec l'ennemi.
— Et qui te dit que ça ne serait pas vrais? suppose Béru. Après tout, tu croyais à l'innocence de ton copain à cause de sa soi-disante femme et de sa soi-disante lettre, mais puisqu'il n'y a plus ni gerce ni bafouille, le Curt, il a p't'être bien trafiqué avec les Sovietnamiens.
— J'admets cette possibilité; pourquoi dès lors les Russes auraient-ils manigancé tout ce chmizblick afin que je le délivre?
— Ben, si Curtis était devenu un pote à eux, c'est normal qu'ïls voulassent lui sauver la vie! réplique le Pertinent.
L'objection me fait réfléchir. Elle se défend, mais ne me satisfait pas. Je sens grouiller des énigmes au fond de tout ça. Le puzzle s'emboîte mal, y a comme un défaut. Je applique.