A nouveau je redéclenche la sirène du véhicule. Le bruit, c'est encore ce qui intimide le plus. On peut soutenir des visions affreuses, supporter des odeurs nauséabondes, toucher des trucs répugnants, au besoin même bouffer de la chose dans les périodes de pénurie, mais subir une sirène ou le bruit d'un robinet qui fuit, c'est pas possible. Les Allemands le savaient, qui équipèrent leurs avions de hurleurs au début de la provisoirement dernière guerre. Le fracas de leurs coucous effrayait bien autrement que leurs mitrailleuses.
Dans un vacarme de
Malgré mon sens de l'orientation je me paume une première fois, entre les abattoirs et les tennis couverts. Mais je rectifie: ma trajectoire et me retrouve sur mon orbite (de cheval). Je contourne le centre d'insémination artificielle, franchis le pesage, longe la manufacture de yaourt, dépasse la léproserie, double le dancing, évite l'institut des hydrocarbures et je m'apprête à aborder l'établissement thermal lorsque des sirènes plus gueulardes que la mienne se mettent à clamer leur détresse aux quatre coins du camp. En entendant cette Bach annale, mes tifs se mettent debout, comme les enfants des écoles lorsque Msieur l'inspecteur vient faire Carter leur maîtresse (à moins qu'il ne coït (je connais des cas) l'amant de leur maîtresse).
Je ne crois pas avancer une chose inexacte en vous annonçant que ça risque de barder pour notre matricule, mes lapins.
Comme je parviens à proximité de l'entrée du camp, je vois qu'on est en train d'en baisser la barrière. Celle-ci ressemble à celle d'un passage à niveau. Je calcule la distance qui me reste à parcourir. Quatre cent mètres. Il est trop tard. La percuter dans l'espoir de la défoncer est un projet insensé. Par ailleurs, des soldats radinent au pas de course. Que faire! Je vire à droite et engage l'ambulance dans une voie étroite qui longe les garages. La porte d'un hangar est ouverte. J'avise des véhicules de tous calibres, ça me donne une idée forcenée. Freinage à mort. Je me cramponne pour ne pas piquer des naseaux dans le pare-brise. Marche arrière! Puis marche avant en braquant à fond. Me voici dans le hangar. Je bombe pour me ranger derrière un gros camion de campagne. Des zigs en combinaison de mécano s'activent alentour sur des moteurs. Ils ne nous prêtent pas grande attention sur l'instant estimant sans doute que j'amène un véhicule de plus à réparer. J'ouvre les portes arrière. Au bon moment: ma brutale manœuvre a fait chuter le Gros et messieurs les yankees s'emploient à le désarmer. Il faut toute la fougue san-antonienne pour rétablir le calme. Je m'avise alors que Curt a retrouvé ses esprits. Il regarde autour de lui comme un zoiseau de noye ébloui par la lumière du soleil (in english,
— Dans ce camion, vite! lancé-je au Gros. Et je repense opportunément à la méthode qu'employait Dillinger pour braquer des banques. Son
De nos jours, les chignoles ne se prêtent plus à ce genre d'exercice puisqu'elles ne comportent pas de marchepieds, mais ce qu'on ne peut accomplir avec une voiture, on peut encore le réussir avec un camion.
— Conduis! dis-je au Gros.
J'aide Curtis à grimper dans la cabine du camion. Après quoi j'ordonne aux autres de se cramponner aux deux portières. Comme les ouvriers, alertés par mon cinéma, font mine d'approcher, je décide qu'une petite giclée intimidante s'impose.
— A plat ventre, tout le monde! leur aboyé-je en lâchant une pétarade dans la verrière.
Ça fait de l'effet, tout le monde se couche, comme si Nounours venait de jouer «Bonsoir les petits» et «Bérurier le vaillant, Béru le preux», embraye à tout va. Les disques patinent; puis le camion, hautement sollicité par le pied droit du Mastar se décide et fonce.
— Tu mets le cap sur la barrière, Gros, mets toute la gomme, s'il te plait, on n'aura pas le temps de s'y reprendre en plusieurs fois.
— T'inquiète pas, dit seulement le Dodu, un jour, sur les autos-tampons, à la foire du Trône, j'ai bousillé la balustrade et atterri dans la roulotte à madame Irma, l'extra-lucide. Toute voyante qu'elle était, elle m'a pas vu arriver dans son but.
— Cramponnez-vous, les gars! conseillé-je aux toubibs et infirmiers. On va se payer une secousse.
Le camp est maintenant en effervescence (de térébentine). Ça galope de partout. Ça débouche, ça se met en batterie. Mais mon inspiration américaine, est payante. En voyant le peloton hospitalier agrippé aux portières du camion, les militaires n'osent défourailler.
Là-bas, droit devant nous, la barrière passage anivesque est verrouillée.
Béru se met au volant.
— Ferme les yeux, il va valser du verre, annonce-t-il.