Il est décidément très joyce, le scalpé. Quelques poils gris s'accumulent en couronne autour de son donjon. Il rectifie la position de sa chevalière dont le camée représente Cupidon à la bataille de Marignan et soupire:
— J'ai un petit travail pour vous, du genre aimable.
— A vos ordres, Patron.
— La brigade des stupéfiants vient d'être ridiculisée par une bande de trafiquants.
Ça le fait marrer rétrospectivement, le Big Boss. Il adore quand les collègues des autres services ont des avaries. C'est le genre de mec qui est plus sensible au malheur d'autrui qu'à son propre bonheur.
— Ils se sont laissé posséder comme des enfants!
J'ai envie de lui dire que ça arrive dans toutes les bonnes carrières de flic, d'être repassé sottement un jour ou l'autre. Au cours de l'année 33–34, toute la volaille amerloque était mobilisée contre Dillinger, mais l'ennemi public
— Imaginez, se délecte le Dabe, que nos petits amis avaient reçu une dénonciation informant qu'on allait débarquer une malle-cabine truquée d'un long-courrier de la ligne d'Orient et que cette malle contenait trente kilos d'héroïne. Ils se postent donc à Orly et, lorsque le Boeing signalé se pose, ils vérifient les bagages. Effectivement une grosse malle est dégagée de la soute. Ils l'explorent, découvrent qu'elle possède une double paroi. et mettent la main sur l'héroïne annoncée. Ravis de l'aubaine, nos braves collègues laissent la marchandise en place et courent se poster dans la salle des douanes où les passagers vont récupérer leurs bagages. Leur intention, vous l'avez devinée…
— Est de filer le coffre pour remonter le réseau de trafiquants, complété-je…
— Naturellement, ratifie le Vioque, naturellement..
Il jubile, il se pourlèche, matou vicieux, vieux mouilleur, gentil requin d'eau de boudin.
Je devine qu'ils se sont fait mochement doubler, les copains des stupes, pour que l'homme à la casquette en peau de fesse se marre pareillement, pour qu’il glousse, pour qu'il époustoufle, pour qu'il maroufle, pour qu'il s’essouffle de la sorte. La grosse traque lamentable. Le chat qui fait joujou avec la souris traquée et qui la voit se débiner par un trou propice.
— Deux hommes sont venus prendre livraison du colis, reprend-il.
— Connus? l'interromps-je.
— Non. Les policiers ne les avaient jamais vus sur aucun fichier.
— Ensuite?
C'est pourléchant, en effet, comme histoire lorsqu'on connaît la fin. On sait que les matuches ont eu droit à leur certificat de Pommes-à-l'eau mais on se demande de quelle manière s'est passé l'examen.
Ça doit être vachement hilarant, décidément à la façon que cet homme d'ordinaire si gris se fend le tiroir-caisse!
— Ils ont franchi la douane sans incident étant donné que les inspecteurs avaient fait le nécessaire auprès des douaniers pour que ceux-ci n'ouvrent pas la malle. Les deux hommes, une fois hors de l'aérogare, se sont mis en quête d'une voiture-camionnette capable de transporter leur volumineux fardeau… Ils ont fini par trouver une fourgonnette du genre break Citroën qui a accepté de charger la malle. Vous me suivez?
— Mieux que nos collègues n'ont suivi les deux types, si j'en juge à vos réactions, monsieur le directeur, susurré-je (car, soit dit entre nous, un petit coup de lèche en passant n'a jamais fait de mal à personne).
Le déboisé de la colline se met à tambouriner son sous-main avec un coupe-papier, je crois pas me gourer en affirmant qu'il interprète «la Marche Lorraine».
— Vous me faites languir, Patron! geins-je.
Il a pitié.
— C’est plus beau que tout ce que vous pouvez imaginer, mon cher ami. Le taxi a traversé Paris sans s'arrêter pour gagner l'aéroport du Bourget. Une fois là, les deux hommes ont déchargé la malle-cabine et l'ont fait enregistrer pour l'avion de Madrid qui devait décoller à 12 h 35 le même jour…