« Bienvenue à tous à la division Gross Deutschland ! clama-t-il. Ici, vous allez connaître la vraie vie de soldats, la seule qui permet de rapprocher les hommes par les liens les plus sincères. Ici, la camaraderie existe entre chacun d’entre nous et, à chaque instant, elle peut être mise à l’épreuve. Les mauvais camarades, les brebis galeuses ne restent pas à la Gross Deutschland division. Ici, chacun doit pouvoir compter sur son frère de combat sans la moindre restriction. La moindre erreur entraîne la responsabilité d’une section au moins. Pas de flemmards, pas de traînards, tout le monde obéit ou se fait obéir aveuglément. Vos officiers réfléchissent pour vous. Montrez-vous dignes de vos supérieurs. Vous allez passer au magasin d’habillement et quitter vos hardes malodorantes. Une hygiène absolue est nécessaire à un bon état d’esprit. Aucune tenue négligée ne sera tolérée. (Le feld reprit un peu haleine, puis poursuivit.) Après avoir rempli ces dernières conditions, les volontaires ici présents recevront leur titre de permission pour quinze jours. Ce titre prendra effet dans cinq jours, au départ du convoi pour Nédrigaïlov sauf contrordre. Disposez.
Il faisait un temps splendide. Tout, ici, avait l’air en ordre. D’après ce que nous avions entendu, on ne badinait pas avec les ordres, mais quel agrément à côté de cet univers de merde, d’horreur, de souffrances et de panique que nous venions de traverser. Et puis, ce titre de permission que nous allions recevoir ! Halls sautait comme un cabri en folie. Tout le monde, sans exception, était joyeux.
Le petit caporal nous joua pourtant une sale blague, mais nous étions de si bonne humeur que tout se passa dans un concert de rigolade. Le drôle exigea que nous lavions nos tenues dégueulasses avant de les remettre au magasin pour en toucher de nouvelles. Nous nous retrouvâmes tous à poil, transformés en blanchisseuses devant de longs abreuvoirs. Nos sous-vêtements étaient dans un état de crasse tel que personne ne songea à les laver. Pour ma part, je foutai en l’air le caleçon merdeux à craquer et la chemise irrécupérable. Ma dernière paire de chaussettes, que j’avais aux pieds depuis le début de la retraite et qui ne formait plus qu’une succession de trous, rejoignit mes premières ordures. Puis, à poil sur le gazon, nous allâmes déposer nos anciennes tenues trempées mais consciencieusement pliées au magasin qui devait nous en donner des propres. Deux femmes soldats de l’intendance rirent à en mourir lorsqu’elles nous virent pénétrer ainsi dévêtus près des comptoirs d’habillement.
— Gardez vos bottes ! lança un sergent que la vue de gars à poil n’amusait plus. Il n’y a pas de distribution de godasses.
Nous touchâmes tout neuf, depuis le calot jusqu’au paquet de premiers soins en passant par la couverture imperméable. Pourtant, quelques objets indispensables manquaient au fourniment. Par exemple, le caleçon et les chaussettes. Par la suite, ces deux éléments nous firent réellement défaut. Nous étions trop en liesse pour nous inquiéter de quoi que ce fût. Une fois vêtus, nous gagnâmes un long bâtiment en bois de l’armée. Au-dessus de la porte une inscription bien lisible rappelait à chacun l’hygiène réglementaire dans laquelle nous devions demeurer. « Eine Laus, der Tod ! Un pou, la mort ! » Le petit caporal grassouillet qui ne nous avait pas quittés depuis Kharkov nous fit signe d’entrer. Nous jetions déjà des appréciations sur notre nouvel appartement, rustique mais impeccablement en ordre.
—
Alors il s’insinua entre nos groupes, l’œil mi-clos, comme s’il s’agissait de surprendre celui qui ne tenait pas du tout à avoir ce titre, ou comme s’il y avait une importante décision à prendre. Finalement il désigna d’un cri sec comme un coup de revolver un type fluet qui n’avait rien à m’envier.
—
L’appelé fit un pas en avant.
— Nom ?
— Wiederbeck !
— Wiederbeck, tu portes jusqu’à nouvel ordre la responsabilité de cette chambre. Tu vas aller chercher au
Il énuméra une suite de responsabilités qui firent rentrer à chaque fois la tête du pauvre Wiederbeck un peu plus entre ses deux épaules.