À l’approche de Noël, la situation s’était apaisée. Les journaux locaux espaçaient leurs articles. Chopard lui-même se lassait de sa chronique. L’affaire Simonis s’éteignait à petit feu.
Au début de l’année suivante, pourtant, nouveau coup de théâtre. Je relus l’article du 14 janvier 1989.
La nouvelle est tombée hier soir. Sartuis est sous le choc. Avant-hier après-midi, 12 janvier 1989, les gendarmes ont placé en garde à vue un nouveau suspect. Celui-ci a avoué le meurtre de Manon Simonis.
Âgé de 31 ans, originaire de la région de Metz, Patrick Cazeviel est un habitué des services de police. Il a déjà purgé deux peines de prison, respectivement de trois et quatre années, pour cambriolages et voies de fait. Comment les gendarmes de Sartuis sont-ils tombés sur cet homme violent, asocial, à la réputation sulfureuse ? C’est tout simple : Cazeviel est un ami d’enfance de Sylvie Simonis.
Pupille de l’Etat, il a séjourné, à l’âge de douze ans, dans un foyer d’accueil de Nancy : c’est là-bas qu’il a connu Sylvie, de trois ans sa cadette. Malgré leurs différences de caractère et d’ambitions, les deux adolescents étaient inséparables — et sans doute Cazeviel n’a-t-il jamais oublié sa passion d’adolescence. Lorsque Sylvie a obtenu sa bourse et commencé ses études d’horlogerie, Cazeviel a été arrêté pour la première fois. Leurs chemins se sont séparés. Sylvie a épousé Frédéric Simonis puis a accouché d’une petite fille.
Ainsi, le meurtre abominable prend peut-être sa source dans une histoire d’amour. Que s’est-il passé l’automne dernier ? Sylvie Simonis et Patrick Cazeviel se sont-ils revus ? Ce dernier a peut-être été éconduit. Il aurait voulu se venger en détruisant le fruit du mariage de Sylvie. Est-ce lui qui harcelait la famille de ses appels anonymes ?
Pour l’heure, le juge et les gendarmes n’ont apporté aucun commentaire : ils se sont contentés d’annoncer l’arrestation de Cazeviel et d’enregistrer ses aveux. Il sera bientôt écroué à la maison d’arrêt de Besançon. À Sartuis, chacun prie pour que cela soit la fin du cauchemar !
Cazeviel avait été libéré deux mois plus tard. Aucune preuve directe n’avait pu être retenue contre lui. En fait, dès la première annonce, quelque chose sonnait faux. Chopard avait brossé une description du suspect : un homme dangereux, solitaire, marginal, mais certainement pas l’assassin de Manon. Abandonné par ses parents à la naissance — « Cazeviel » était le village où il avait été trouvé — et mis sous tutelle de l’administration, il avait été baptisé « Patrick » dans son premier foyer, à Metz. Au fil des centres sociaux et des familles d’accueil, les termes qui revenaient à son sujet étaient : instable, indiscipliné, violent. Mais aussi : vif, brillant, volontaire… C’était ainsi qu’il avait pu accéder au foyer de Nancy, d’un bon niveau scolaire, où il avait rencontré Sylvie.
Sa part obscure avait ensuite pris le dessus. Casses, violences, arrestations… Malgré ses séjours en taule et ses boulots nomades (on le retrouvait tour à tour bûcheron, couvreur, forain), il n’avait jamais perdu de vue Sylvie. Les deux orphelins étaient liés par un pacte, une solidarité d’enfants perdus.