Foxy soupira, imitée par les deux autres.
— Toujours les mêmes oppositions…
Dents du Bonheur prononça en anglais, ironique :
— Le croyant prie, le sorcier manipule…
Dreadlocks enchaîna, dans la même langue :
— Le chrétien vénère le bien, le sorcier vénère le mal…
Foxy saisit une bassine rouge où flottait une chose horrible : singe ou fœtus.
—
— Après quoi ?
— Le pouvoir. Seul compte le pouvoir. L’énergie.
Elle tenait maintenant une sorte de scalpel, à lame d’obsidienne. D’un coup sec, elle excisa le crâne de la créature au fond du récipient.
— Ensuite, ce qu’on en fait, c’est une affaire personnelle.
— Pour le chrétien, seul compte le salut.
Foxy éclata de rire :
— Je t’adore. Qu’est-ce que tu veux ? Tu cherches une fille ?
— J’enquête sur le meurtre de Massine Larfaoui.
Les trois sorcières répétèrent à l’unisson :
— Il enquête sur un meurtre…
Foxy plaça le fragment de crâne dans le bol en bois et pilonna de nouveau.
— Dis-moi d’abord pourquoi tu t’intéresses à ce meurtre. C’est pas ta brigade qui enquête là-dessus…
Foxy ne possédait pas des dons de divination. C’était simplement une indic, qui possédait ses réseaux à la DPI de Louis-Blanc, à la BRP et même aux Stups.
— Cette enquête était dirigée par un ami. Un ami très proche.
— Il est mort ?
— Il s’est suicidé mais il vit encore. Il est dans le coma.
Elle fit une grimace :
— Très mauvais… Deux fois mauvais. Suicide et coma. Ton ami flotte entre deux mondes… Le m’fa et l’arun…
Foxy appartenait aux Yoruba, un vaste groupe ethnique qui couvre le golfe du Bénin, berceau du culte vaudou. J’avais étudié ce culte. Le « m’fa » signifie le « socle » et représente le monde visible. « L’arun » est le monde supérieur des dieux. Je risquai :
— Tu veux dire qu’il flotte dans le m’doli ?
Le « m’doli » était le pont entre les deux mondes, une passerelle où s’activent les esprits, le territoire de la magie. La sorcière se fendit d’un sourire :
—
— Je veux comprendre le geste de mon ami.
— Quel rapport avec Larfaoui ?
— Il enquêtait sur ce meurtre. Cela a peut-être joué un rôle dans sa… chute.
— Il est chrétien, lui aussi ?
— Comme moi. On a grandi ensemble. On a prié ensemble.
— Et pourquoi, moi, je saurais quelque chose sur cette histoire ?
— Larfaoui aimait la femme noire.
Elle éclata de rire, relayée par les deux autres.
— Ça, tu peux le dire !
— C’est toi qui le fournissais.
Elle fronça les sourcils :
— Qui t’a dit ça ? Claude ?
— Peu importe.
— Tu penses que je sais quelque chose sur sa mort parce que je lui présentais des filles ?
— Larfaoui a été tué le 8 septembre. C’était un samedi. Larfaoui avait ses habitudes. Chaque samedi, il invitait chez lui une fille, à Aulnay. Une de
Je marquai un temps. Ma gorge était plus sèche qu’un pare-feu.
— Je pense que tu connais cette fille. Je pense que tu la caches.
— Assieds-toi. J’ai du thé chaud.
Je m’accroupis sur le tapis. Elle poussa sa jarre immonde et attrapa une théière bleue. Elle servait le thé à la touareg, en levant le bras très haut. Foxy me tendit le breuvage dans un verre de cantine :
— Pourquoi je te parlerais ?
Je ne répondis pas tout de suite. Puis j’optai, encore une fois, pour la sincérité :
— Foxy, je suis dans un tunnel. Je ne sais rien. Et je n’ai aucun rôle officiel dans cette affaire. Mais mon pote est entre la vie et la mort. Je veux comprendre pourquoi il a plongé ! Je veux savoir sur quoi il bossait, et quelle vérité lui a sauté à la gueule ! Tout ce que tu pourras me dire restera entre nous. Je te le jure. Alors, il y avait une fille ou non ?
— On se souviendra toi et moi de cette nuit…
— On s’en souviendra, mais je ne suis plus à la BRP.
— Tu es à la Crime, mon chéri, et c’est encore mieux.
J’étais en train de pactiser avec le diable. Je me voyais déjà, dans un mois, un an, couvrir une affaire d’homicide, à la santé de la jeteuse de sorts. Foxy avait une bonne mémoire. Elle répéta :
— On s’en souviendra, oui ou non ?
— Tu as ma parole. Il y avait une fille, cette nuit-là ?
Foxy prit le temps de boire une goulée de thé, puis posa sa tasse sur le parquet :
— Il y avait une fille.
L’atmosphère parut se détendre, je ressentis une libération. Et en même temps, une nouvelle crispation. Mes veines, mes artères se resserraient, le cauchemar ne faisait que commencer.
— Je dois la voir. Je dois l’interroger.
— Impossible.
— Foxy, tu as ma parole, je…
— Elle a disparu.
— Quand ?
— Une semaine après la fameuse nuit.
— Raconte.
Elle fit claquer sa langue et vrilla ses yeux injectés dans les miens :