L’église se remplissait toujours, s’amplifiant de murmures, de frôlements de manteaux. Doudou quitta sa place. Je le suivis du regard. Il rejoignit un homme, près du confessionnal, à l’extrême droite. Petit, carré, des cheveux gris coiffés en brosse. Sa carrure était engoncée dans un imper trois quarts bleu nuit. Toute son allure évoquait un uniforme invisible, mais pas celui des flics. D’un coup, je sus : un prêtre. Un religieux, vêtu en civil.
Je contournai la première rangée de chaises et traversai la nef. Je n’étais plus qu’à dix mètres des deux hommes. À cet instant, Doudou glissa un objet dans les mains de l’autre. Une sorte de plumier, en bois verni.
J’accélérai le pas quand une main m’attrapa la manche.
Laure.
— Qu’est-ce que tu fais ? Tu te places à côté de moi.
— Bien sûr, fis-je en souriant. Où veux-tu te mettre ?
Je la suivis, jetant un nouveau regard vers les conspirateurs. Doudou revenait déjà à sa place, l’homme en bleu, derrière une colonne, se signait. Stupeur. Un signe de croix à l’envers, en commençant par le bas, comme le font certains satanistes, reproduisant le symbole de l’Antéchrist. Laure me posait une question.
— Pardon ?
— Tu as choisi ton texte ?
— Quel texte ?
— J’avais prévu que tu lirais un extrait de l’épître aux Corinthiens…
Nouveau regard vers la droite : l’homme avait disparu. Merde. Je murmurai :
— Non… Si ça ne te fait rien, je…
— Très bien, fit Laure, d’un ton sec. C’est moi qui le lirai.
— Je suis désolé. Je n’ai pas fermé l’œil.
— Tu crois que j’ai passé une bonne nuit ?
Elle se tourna vers l’autel. Le remords me crispait le ventre. J’étais le seul chrétien de l’assemblée et je n’étais pas foutu de lire quelques lignes. Mais mes interrogations balayaient tout : qui était cet homme ? Que lui avait donné Doudou ? Pourquoi s’était-il signé à l’envers ?
La cérémonie débutait. Le prêtre, vêtu d’une aube blanche frappée de l’agneau pascal, ouvrit ses bras. Un pur Tamoul. Des narines larges comme des pièces de monnaie, des yeux noirs, humides, d’une étrange langueur. Il commença, dans une résonance proche du larsen :
— Mes frères, nous voici aujourd’hui réunis…
Je sentais la fatigue revenir d’un coup. L’officiant fit un signe explicite : tout le monde s’assit. Déjà, la voix monocorde s’éloignait. Un froissement de feuilles me réveilla. Chacun manipulait le texte des chants du jour. Le prêtre disait :
— Nous allons maintenant chanter la troisième louange.
M’endormir à la messe de mon meilleur ami… Je jetai un regard en direction de Doudou. Il n’avait pas bougé.
— Ce chant s’appelle «
De telles paroles ne manquaient pas de sel dans cette chapelle remplie de flics agnostiques et désabusés. Pourtant, la salle reprit en chœur, dans un bourdonnement hésitant…
— Je peux venir sur tes genoux ?
Amandine, deux nattes blondes sous un bonnet chocolat, me tendait sa feuille :
— Je sais pas lire.
Je la hissai sur mes genoux et entonnai : «
Trente minutes et pas mal de sonneries intempestives de portables plus tard, le prêtre, qui ne doutait vraiment de rien, se lança dans un sermon-fleuve sur l’Eucharistie. Je craignais le pire : allait-il proposer la communion à cette tribu d’incroyants ? Coup d’œil à Doudou — il commençait à s’agiter, jetant des regards brûlants vers la porte. À l’évidence, plus pressé que les autres.
Je me levai, posai Amandine sur ma chaise et murmurai à Laure :
— Je t’attends dehors.
21
Sur l’avenue de la Porte-de-Vincennes, je repérai la moto de Doudou.
Une pièce de collection — une 500 cm3 Yamaha, modèle trial.
Je me dirigeai vers l’engin, sortant mon portable. Je composai le numéro de l’horloge parlante puis coinçai l’appareil entre le siège de la moto et son garde-boue surélevé.
J’attendis cinq bonnes minutes avant que la foule n’émerge de la fosse de la chapelle. Je me composai une tête de circonstance et revins vers la troupe, cherchant Laure du regard. Elle était assaillie de saluts et de gestes bienveillants. Je me glissai parmi les manteaux noirs et murmurai à son oreille :
— Je t’appelle tout à l’heure.
Je reculais déjà, attrapant au passage le blouson de Foucault :
— Tu peux me passer ton portable ?
Sans poser de questions, il me le tendit. Près de sa moto, Doudou enfilait son casque intégral.
— Merci. Je te le rends à la boîte, à midi.
— À midi ? Mais…
— Désolé. J’ai oublié le mien.