Freire essuya la buée sur la vitre. À cet instant, deux hommes en manteau noir sortirent de la voiture. Freire plissa les yeux. Il les distinguait mal mais leurs silhouettes rappelaient celles des officiers du FBI dans les films. Ou encore les deux personnages parodiques de
Freire se demanda s’il ne s’agissait pas de membres d’une milice privée, engagés par les habitants du quartier, mais ni la voiture, ni l’élégance des rôdeurs ne correspondaient à ce profil. Ils se tenaient maintenant appuyés sur le capot du 4 × 4, insensibles à la bruine. Ils fixaient un point précis. Mathias sentit de nouveau sa douleur derrière l’œil.
Ce que ces types trempés fixaient à travers le brouillard, c’était son propre pavillon. Et plus certainement encore sa silhouette à contre-jour dans la cuisine.
3
FREIRE retourna au CHS à 13 heures après avoir sommeillé sur son canapé, avec plusieurs dossiers en guise de couverture. Pas un chat aux urgences. Ni malades en détresse, ni clodos ivres morts, ni forcenés ramassés sur la voie publique. Un vrai coup de chance. Il salua les infirmières qui lui donnèrent son courrier et les dossiers tapés la veille. Il fila dans son bureau de permanence qui n’était autre que son cabinet d’examen-salle de repos.
Parmi les documents, il ouvrit en priorité le PV de constatation concernant l’amnésique de la gare Saint-Jean. Le document était rédigé par un certain Nicolas Pailhas, capitaine au poste de la place des Capucins. La veille, Freire n’avait pas tenté d’interroger le cow-boy ni essayé de comprendre quoi que ce soit. Il l’avait expédié au lit après l’avoir ausculté et lui avoir prescrit un analgésique. On verrait demain.
Dès les premières lignes du PV, Freire fut captivé.
L’inconnu avait été découvert aux environs de minuit par des cheminots dans un poste de graissage situé le long de la voie 1. L’homme avait forcé la serrure et s’était planqué dans le cabanon. Quand les techniciens lui avaient demandé ce qu’il faisait là, il avait été incapable de répondre, n’avait pas su non plus donner son nom. Hormis son Stetson et ses bottes en lézard, l’intrus était vêtu d’un manteau de laine grise, d’une veste de velours usé, d’un sweat-shirt marqué du logo CHAMPION et d’un jean troué. Il ne portait aucun document officiel ni quoi que ce soit qui permette de l’identifier. Le mec avait l’air en état de choc. Il éprouvait des difficultés à parler. Parfois même à saisir les questions qu’on lui posait.
Plus inquiétant, il tenait deux objets qu’il refusait de lâcher. Une clé à molette énorme, le modèle 450 mm, et un annuaire d’Aquitaine daté de 1996 — un de ces pavés de plusieurs milliers de pages en papier bible. La clé et l’annuaire étaient tachés de sang. Le Texan ne pouvait expliquer la présence de ces objets entre ses mains. Ni celle du sang.
Les agents de la SNCF l’avaient emmené à l’infirmerie de la gare, pensant qu’il était blessé. L’examen n’avait révélé aucune plaie. Le sang sur la clé et l’annuaire appartenait donc à
L’interrogatoire au poste n’avait rien donné de plus. On avait pris l’homme en photo. On avait relevé ses empreintes. Des techniciens de l’IJ avaient collecté des particules de sa salive, des cheveux, pour confronter son ADN au FNAEG, le Fichier national automatisé des Empreintes génétiques. Ils avaient aussi relevé des grains de poussière sur ses mains et sous ses ongles. On attendait le résultat des analyses. Bien sûr, ils avaient embarqué la clé à molette et l’annuaire.
Son bipeur sonna. Freire regarda sa montre — 15 heures. La parade commençait. Entre les malades venus de l’extérieur et les patients de l’intérieur, il n’y avait jamais de quoi chômer. Il lut son écran : un problème dans la cellule d’isolement du pavillon Ouest. Il partit au pas de course, sacoche à la main, et remonta l’allée centrale, toujours noyée de brouillard. L’hôpital regroupait une douzaine de pavillons dévolus chacun à une zone d’Aquitaine ou à une pathologie particulière : addictologie, délinquance sexuelle, autisme…
Le pavillon Ouest était le troisième sur la gauche. Freire plongea dans le couloir principal. Murs blancs, linoléum beige, tuyaux apparents : le même décor pour chaque bâtiment. Rien d’étonnant à ce que les patients se trompent quand ils rentraient au bercail.
— Qu’est-ce qui se passe ?
L’interne eut un mouvement d’humeur :
— Putain, vous voyez pas ce qui se passe ?