Читаем Le passager полностью

Il avança encore. Des lustres à pendeloques, des fauteuils, des guéridons flottaient dans les ténèbres. Un bas-relief était sculpté sur le mur de droite — des colosses de profil, qui rappelaient des hiéroglyphes égyptiens. Un appartement de famille, se dit-il. Ces murs, ce mobilier, ces tapis appartenaient au sang de Sylvain Reinhardt aussi sûrement que la forme de son nez ou d’autres atavismes de ses ancêtres. Ce lieu n’était qu’un prolongement de son patrimoine génétique.

Il se retourna et sourit :

— Vous avez une collection d’art brut ?

Il distinguait mieux son interlocuteur. Reinhardt avait une tête de mort, au sens propre. Sa peau, fine, tendue, parcheminée, moulait chaque détail de ses muscles et de ses os. Un front dégarni. Des orbites profondes. Des mâchoires et des dents proéminentes. Impossible de lui donner un âge. En le voyant, on ne pensait pas en termes d’années, mais de générations. Un pur fin de race.

— Elle est ici. Autour de vous.

Alors il les repéra. Les tableaux n’étaient ni encadrés ni suspendus. Seulement posés le long des murs. Dans le demi-jour, ils se confondaient avec le papier peint terne. Des imbrications inextricables, de forme curviligne. Des petits personnages crayonnés, portant des becs d’oiseaux. Des têtes rondes, aux dents innombrables…

— Pourquoi vivez-vous ainsi ? demanda Narcisse. Dans le noir ?

— Pour mes tableaux. La lumière détériore les couleurs.

Narcisse se demanda si son hôte plaisantait. Il avait une prononciation hautaine. Comme si chaque mot, chaque syllabe le dégoûtait.

— La lumière est la raison d’être de la peinture.

La phrase lui avait échappé — c’était l’artiste qui s’était exprimé. Reinhardt lui répondit par un ricanement. Une sorte de gloussement méprisant.

Il s’approcha des autres œuvres. Des hommes à museaux de chat. Des fillettes au teint de spectre. Des masques de carton brun, aux yeux écarquillés.

— Mon père était un ami de Dubuffet, fit Reinhardt comme une excuse. Je continue sa collection.

Narcisse ne s’était pas trompé. Ce fils de famille était prisonnier de ses origines comme il était prisonnier de sa collection. Ces œuvres, ces murs évoquaient les grands pétales noirs d’une plante carnivore qui le dévorait lentement.

— Qu’est-ce que tu veux au juste, salopard ? demanda-t-il brutalement. Qu’est-ce que tu viens foutre chez moi ?

Narcisse se retourna, surpris par le changement de ton. Reinhardt tenait un petit pistolet. On distinguait seulement le canon dans l’obscurité. L’engin avait l’air factice.

— Tu veux me voler, c’est ça ?

Sans quitter son calme, Narcisse passa au tutoiement :

— Un jour, au musée du Luxembourg, les gardiens ont surpris un vieil homme, armé d’une palette et de pinceaux qui repeignait furtivement un tableau exposé de Pierre Bonnard. Les types ont jeté le cinglé dehors. C’était Bonnard lui-même.

Reinhardt ricana encore. Ses dents étaient pourries.

— On raconte la même histoire avec Oskar Kokoschka.

— Un peintre n’en a jamais fini avec son œuvre.

— Et alors ?

— Je veux retoucher mon tableau. Celui que tu as acheté. Le Facteur. Je veux le récupérer. Un jour ou deux.

Reinhardt ne s’attendait pas à cette requête. Son attention se relâcha une seconde. Narcisse frappa son poignet avec le tranchant de la main gauche et dégaina de l’autre. L’héritier poussa un cri aigu — un hurlement de belette. Narcisse l’attrapa à la gorge et le plaqua contre le mur, canon sous le nez. Son Glock était beaucoup plus convaincant que l’arme miniature.

— Où est ma toile ?

Pas de réponse. L’homme s’affaissa, sans perdre conscience.

— File-moi mon tableau, siffla-t-il, lèvres serrées, et je te laisse à ton vivarium.

À genoux, le fin de race le regarda avec hébétude. Ses yeux pleins de larmes brillaient comme une paire de bougies, lui donnant tout à coup un air solennel.

— Où est mon tableau, putain ?

— Pas… pas ici.

— Où est-il ?

— Dans mon entrepôt.

— Où c’est ?

— En bas. Dans la cour. Un atelier.

Narcisse le releva sur ses pieds d’une traction et lui montra la porte :

— Après toi.

<p>88</p>

— LES FLICS DE NICE m’ont rappelé. Ils grattent sur la Villa Corto.

— Et alors ?

— Que dalle. Pas de traces, pas d’indice. Impossible de savoir qui a tué le psychiatre et ses infirmiers. Quant aux témoins, tu les as vus.

— Personne n’a parlé de moi ?

— Personne n’est en état de parler de quoi que ce soit.

Dans sa voiture de location, Anaïs écoutait la voix de Crosnier comme si elle provenait d’une autre planète. Elle était en planque depuis dix minutes, rue du Bac, au coin de la rue de Montalembert, une artère oblique, très courte, qui butait contre un édifice prestigieux, celui des éditions Gallimard, marqué simplement du sigle « NRF ».

— C’est tout ?

— Fer-Blanc est mort.

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