Читаем Le passager полностью

Il passa au teint betterave. Il ne pouvait plus respirer. Encore moins parler. Elle relâcha légèrement la tenaille.

Le gendarme cracha :

— Ils… ils étaient deux.

— Leurs noms ?

— Je sais pas.

— Ils t’ont filé du fric ?

— Jamais de la vie ! Je… j’ai pas besoin d’argent !

— Avec le crédit de ta baraque ? Celui de ta bagnole ? Les fringues de tes mômes ?

— Non… non… non…

Elle serra à nouveau les mâchoires du bracelet. Au fond d’elle-même, elle était terrifiée. Par sa propre violence. Par l’ampleur de son dérapage. L’IGS se délecterait du témoignage du lieutenant Patrick Dussart.

— PARLE ! POURQUOI AS-TU RÉDIGÉ CE FAUX ?

— Ils… ils m’en ont donné l’ordre.

Elle donna du mou à la prise :

— L’ordre ?

— C’étaient des officiers. Ils… Ils ont parlé de raison d’État.

— Ils étaient en uniforme ?

— Non.

— Ils t’ont montré leurs papiers officiels ?

— Non.

Dussart se releva sur un coude et essuya ses larmes.

— Ces mecs-là étaient des officiers, bon Dieu… J’ai servi quatre ans dans la Marine, sur le Charles-de-Gaulle. Je sais reconnaître un gradé quand j’en vois un.

— Quel corps ?

— Je sais pas.

— À quoi ressemblaient-ils ?

— Des gars sérieux, en costume noir. Les militaires n’ont pas la même façon de porter les tenues civiles.

C’était la première phrase censée du connard.

— Ils sont venus à la gendarmerie ?

— Non. Chez moi, le soir du 17. Ils m’ont donné les grandes lignes du rapport que je devais rédiger, et la date à apposer. C’est tout.

Ces visiteurs ne pouvaient pas être les tueurs de la plage de Guéthary. À cet instant, les salopards étaient à Marseille, en train d’attaquer Victor Janusz. Qui d’autre ? Des collègues ? De toute façon, ce témoignage ne lui servait déjà plus à rien. Dussart nierait en bloc et c’est elle qui se retrouverait en garde à vue pour agression.

Son idée de la balise non activée lui parut beaucoup plus utile. Elle se releva et rangea ses pinces.

— Qu’est-ce… Qu’est-ce qui va m’arriver ? chevrotait l’autre en se massant le cou.

— Tiens-toi à carreau et tout se passera bien, fit-elle entre ses dents.

Elle sortit et trébucha sur le seuil. La lumière la frappa au fond des yeux. Elle rajusta son blouson, balaya les échardes de balsa qui couvraient ses fringues. De rage, elle envoya un coup de pied dans un petit tricycle qui traînait là.

À grandes enjambées, elle atteignit le portail. Sur le seuil du pavillon, la femme et ses deux enfants pleuraient.

Sa main se crispa sur la grille.

Elle aussi chialait à pleines larmes.

Elle ne tiendrait pas longtemps à ce régime.

<p>79</p>

TOUT ÉTAIT INTACT.

Comme si Narcisse avait quitté son atelier la veille.

— J’étais sûr que tu reviendrais, expliqua Corto.

Après déjeuner, il avait enfin pu prendre le chemin de son propre atelier. Le psychiatre avait tenu à l’accompagner. L’espace n’excédait pas cinquante mètres carrés. Les murs n’en étaient ni noirs, ni crayonnés, mais le lieu n’était pas non plus impeccable comme le repaire de Rebecca.

Des toiles vierges s’alignaient contre le mur de gauche. Des bâches se déployaient sur le sol, constellées de taches de couleur. Des pots de peinture industrielle, des bacs maculés, des sacs de pigments, des Tupperware s’entassaient un peu partout. Des planches sur des tréteaux supportaient des tubes séchés, tordus, écrasés, mais aussi, curieusement, de grosses seringues en métal. Des pinceaux jaillissaient en bouquets de boîtes de conserve chromées.

— Tu fabriquais toi-même ta peinture, commenta Corto. Tu étais aussi exigeant que Karl. Tu mélangeais tes pigments. Tu les passais à la broyeuse et tu réglais leur onctuosité, en les mélangeant avec l’essence de térébenthine et l’huile de lin. Je me souviens : pour lier les pigments, tu utilisais une huile clarifiée spécifique. Tu te fournissais auprès d’une raffinerie industrielle qui a plutôt l’habitude de livrer ses clients par tonnes. Ensuite, tu injectais tes couleurs dans des seringues à graisse pour tracteurs que j’avais moi-même récupérées auprès des fermiers du coin…

Narcisse s’approcha des bacs où des mélanges noirâtres, rougeoyants, violacés avaient séché. Les bidons, les récipients en aluminium, les sacs poussiéreux distillaient encore de violents effluves chimiques ou minéraux. Il saisit des brosses, caressa des tubes, respira les odeurs — il n’éprouvait rien. Pas le moindre souvenir. Il en aurait chialé.

Il remarqua, parmi les objets pétrifiés, un carnet aux pages collées de peinture. Il le feuilleta. D’une écriture minuscule, on avait inscrit des listes de noms, de chiffres, de pourcentages.

— Ton carnet à secrets, fit Corto. Tes mélanges, tes proportions pour obtenir, exactement, les tons que tu souhaitais.

Narcisse empocha le carnet puis demanda :

— Parlez-moi de ma façon de travailler.

— Je n’en ai aucune idée. Il n’y a pas de portes aux ateliers mais tu avais fixé un rideau sur le chambranle. INTERDICTION FORMELLE D’ENTRER. Le soir, tu retournais tes tableaux contre les murs.

— Pourquoi ?

— Tu disais : « Marre de voir ma gueule. »

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