Il parut hésiter, aussi en repéra-t-elle une qui n’avait pas plus de quatorze ans, elle le savait.
— Léa, lui dit-elle, retourne près de ta mère. J’irai à ta place.
Sans surprise, sans protester, la jeune fille s’éloigna. Luiz regarda longuement Elisabeth et haussa les épaules. L’attente ne fut pas longue. Au bout de quelques minutes, trois hommes à cheval apparurent, menant chacun un autre animal par la bride. Les six chevaux étaient lourdement chargés et, sans cérémonie, les cavaliers mirent pied à terre et déballèrent les produits qu’ils avaient apportés.
Luiz observait attentivement la scène. Elisabeth entendit un des hommes lui dire :
— Nous reviendrons dans deux jours avec le reste. Voulez-vous que l’on exécute les travaux à l’église ?
— Non… nous n’en avons pas besoin.
— Comme vous voudrez. Désirez-vous modifier certaines clauses de notre marché ?
— Non. Nous sommes satisfaits.
— Bien.
L’étranger se tourna pour faire face aux villageois qui assistaient à la transaction. Il leur parla comme à Luiz, dans leur propre langue, mais avec un accent prononcé :
— Nous nous sommes efforcés d’être hommes de parole et de bonne volonté. Certains d’entre vous ne sont peut-être pas d’accord avec nos conditions d’échange, mais nous vous demandons de la compréhension. Les femmes que vous nous permettez de vous emprunter seront bien soignées et n’auront en aucun cas à se plaindre de notre traitement. Nous sommes tout aussi intéressés que vous à leur santé et à leur bonheur. Nous ferons en sorte qu’elles vous reviennent dès que possible. Je vous remercie.
La cérémonie était terminée. Les hommes offrirent leurs chevaux aux femmes pour le voyage. Deux filles prirent une même monture, cinq autres se répartirent les bêtes restantes. Elisabeth et les deux dernières décidèrent d’aller à pied. La petite troupe quitta le village.
6
Pendant tout le trajet, Elisabeth resta silencieuse. Les trois hommes conversaient en anglais, pensant qu’aucune des filles ne les comprenait. Elisabeth tendait l’oreille dans l’espoir d’apprendre quelque chose d’intéressant, mais elle n’entendait guère que plaintes sur la chaleur, le manque d’ombre et la longueur du voyage.
La prévenance des hommes à l’égard des femmes paraissait assez sincère. À peu près toutes les heures, ils faisaient halte et les femmes chevauchaient tour à tour. Aucun des hommes ne monta une seule fois et Elisabeth en vint à comprendre leurs plaintes. Si, comme l’avait dit Helward, leur destination était à quarante kilomètres de distance, c’était une longue marche par une journée brûlante.
Plus tard, la réserve des hommes parut se relâcher, peut-être sous l’effet de la fatigue.
— Pensez-vous que tout ceci soit encore nécessaire ? demanda l’un d’eux.
— Les échanges ?
— Oui… je veux dire qu’ils nous ont causé pas mal de difficultés dans le passé.
— Que suggéreriez-vous à la place ?
— Je n’en sais rien. Il ne m’appartient pas de décider. Mais si j’avais eu voix au chapitre, je ne serais pas ici en ce moment.
— Cette fois-ci, cela me paraît encore acceptable. Les dernières femmes ne sont pas encore parties et elles ne donnent pas l’impression d’en avoir envie. Peut-être n’aurons-nous plus à faire de transactions désormais.
— Mais si.
— On dirait que vous les désapprouvez ?
— Franchement, oui. Il m’arrive parfois de penser que tout notre système est insensé.
— Vous avez trop écouté les Terminateurs.
— Possible. Quand on les écoute, ce qu’ils disent est sensé. Non qu’ils connaissent toutes les réponses, mais ils ne sont pas aussi stupides que les Navigateurs le donnent à entendre.
— Vous perdez l’esprit.
— D’accord. Qui y échapperait par une chaleur pareille ?
— Mieux vaudrait ne pas répéter dans la ville ce que vous venez de me dire.
— Pourquoi pas ? Il y a déjà bien des gens à penser de même.
— Pas les membres des guildes. Vous êtes descendu dans le passé. Vous connaissez la situation.
— Je suis tout simplement réaliste. Il faut écouter l’opinion publique. Il y a dans la cité davantage de gens qui désirent s’arrêter qu’il n’y a d’hommes dans les guildes. Voilà tout.
— Bouclez-la, Norris, dit celui des hommes qui n’avait pas encore parlé, celui qui s’était adressé à la foule, au village.
Ils poursuivirent leur route.
La ville était en vue depuis un certain temps avant qu’Elisabeth la reconnût pour ce qu’elle était. En approchant, elle l’examinait attentivement, ne comprenant pas tout ce système de câbles et de voies. Elle pensa d’abord à une gare de triage, mais elle ne voyait pas de wagons et de toute façon les rails étaient trop courts pour avoir un usage pratique.
Plus tard elle remarqua des hommes qui, apparemment, patrouillaient le long des voies. Chacun d’eux portait soit un fusil, soit une arme qui ressemblait à une arbalète. C’était trop fou : elle se concentra de préférence sur la grande construction.