— Ce n’est pas ainsi que je
— Essayez.
— Non.
— Très bien. Savez-vous comment je vois le soleil ? Je le vois comme un objet lumineux sphérique – et non comme vous le voyez. Et je me vois aussi grande à quelques kilomètres « au nord » — ou dans ce que vous appelez le nord – que je le suis ici même. C’est une affaire de perception. Vos sens vous disent le contraire… Je ne comprends pas pourquoi ; mais les perceptions de Destaine étaient également erronées. Elles l’ont toujours été.
— Lise, c’est plus qu’une perception. J’ai vu, j’ai senti, j’ai
Elisabeth allait l’interrompre, mais il poursuivit :
— Lise, après vous avoir vue, l’autre jour, j’ai éprouvé le besoin de réfléchir. Je suis allé à cheval au nord, loin au nord. J’ai vu là quelque chose qui mettra à l’épreuve la capacité de survie de la cité comme rien ne l’a encore fait. Vous rencontrer a représenté – je ne sais pas – mais plus que je n’avais espéré. Mais cela m’a indirectement conduit à quelque chose de beaucoup plus grand.
— Quoi donc ?
— Je ne peux pas vous le dire.
— Pourquoi pas ?
— Je ne peux le dire qu’aux Navigateurs. Ils ont mis le secret sur ce renseignement pour le moment. Le temps serait mal choisi pour rendre la nouvelle publique.
— Que voulez-vous dire ?
— Avez-vous entendu parler des Terminateurs ?
— Oui, mais je ne sais ce qu’ils sont.
— Un groupement politique dans la cité. Ils s’efforcent d’obtenir que la ville s’immobilise. Si ce que vous m’avez révélé venait à être connu en ce moment, il y aurait des tas d’ennuis. Nous venons tout juste de surmonter une crise grave et les Navigateurs n’en veulent pas d’autre.
Elisabeth le regarda sans rien dire. Elle se voyait soudain elle-même sous un nouveau jour.
Elle se trouvait prise entre deux réalités, la sienne propre, et celle de Helward. Si proches qu’ils fussent, il ne pouvait y avoir de contact entre eux. Il lui restait encore à découvrir le pourquoi de la situation, mais tout comme la courbe dessinée par Destaine pour donner une idée de la réalité telle qu’il la percevait, plus elle se rapprochait de Helward dans un sens, plus elle s’en éloignait dans l’autre. Elle s’était en quelque sorte immiscée dans un drame où une forme de logique s’écroulait devant une autre et elle se sentait incapable de résoudre le problème.
Persuadée de la sincérité de Helward et de l’existence évidente de la cité ainsi que de ses habitants – et plus encore de la réalité apparemment étrange des concepts sur lesquels ils avaient fondé leur survie – elle ne parvenait pas à éliminer de son esprit la contradiction fondamentale. Cette ville et son peuple existaient bien sur la Terre – la Terre telle qu’elle la connaissait – et quoi qu’elle vît, quoi que pût dire Helward, il n’y avait pas à en sortir. Les preuves du contraire étaient absurdes.
Et quand les deux réalités se confrontaient, c’était l’impasse.
Elisabeth lui annonça :
— Je quitte la ville demain.
— Alors venez avec moi. Je retourne dans le nord.
— Non. Il faut que je regagne le village.
— Celui où l’on a marchandé les femmes.
— Oui.
— Je vais justement par là. Nous chevaucherons ensemble.
Encore une impasse : le village était au sud-ouest de la cité. Elle ne fit pas d’observation.
— Pourquoi êtes-vous venue à la ville. Lise ? lui demanda-t-il. Vous n’êtes pas de la région.
— Je désirais vous voir.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas. Vous m’avez effrayée, mais j’ai vu d’autres hommes, semblables à vous, qui commerçaient avec les villageois. Je voulais savoir ce qui se passait. Maintenant, je le regrette… parce que vous me faites toujours peur.
— Pourtant je ne me mets pas en colère ?
Elle éclata de rire… et se rendit compte que c’était la première fois depuis son arrivée dans la ville.