— Le voici, le soleil ! cria-t-il, en désignant la forme étrange tracée en haut et à droite du dessin, à quelques pouces de la maigre silhouette qui représentait Elisabeth à ses yeux. C’est ça le soleil !
Le cœur battant follement, elle détacha son cheval, monta en selle et piqua des deux. Le cheval partit au galop.
Helward resta planté à la suivre des yeux, tenant toujours le dessin à bout de bras.
5
Le soir tombait quand Elisabeth arriva au village ; il était trop tard pour qu’elle regagne le quartier général. De toute façon elle n’avait pas envie d’y retourner et elle avait un endroit où dormir dans le village même.
La grand-rue était déserte ; c’était inhabituel en début de soirée car les gens aimaient s’asseoir devant leurs maisons pour bavarder en dégustant le vin fort et résineux qui était leur seule boisson fermentée.
Des bruits venaient de l’église ; elle s’approcha. La plupart des hommes y étaient rassemblés, ainsi que quelques femmes.
Une ou deux filles pleuraient.
— Que se passe-t-il ? demanda Elisabeth au père Dos Santos.
— Ces hommes sont revenus et nous ont proposé un marché, répondit-il.
Il se tenait un peu à l’écart, visiblement impuissant à influencer les gens dans un sens ou dans l’autre.
Elisabeth s’efforçait de comprendre l’essentiel des discussions, mais il y avait trop de vacarme et même Luiz, qui se tenait bien en vue près de l’autel en ruines, ne parvenait pas à se faire entendre. Elisabeth lui fit signe et il vint aussitôt la rejoindre.
— Alors ?
— Les hommes sont revenus aujourd’hui, Menina Khan. Nous acceptons leurs conditions.
— Je n’ai pourtant pas l’impression que l’accord soit général. Quelles sont ces conditions ?
— Elles sont honnêtes.
Il repartait déjà vers l’autel mais Elisabeth le retint par le bras.
— Que veulent-ils ?
— Ils nous donneront des quantités de médicaments et d’aliments. Ils apporteront aussi leur engrais et ils disent qu’ils nous aideront en outre à réparer l’église, bien que nous ne le souhaitions pas.
Il la regardait d’un air fuyant, ne croisant ses yeux que par brefs instants.
— Et en échange ?
— Peu de chose.
— Allons, Luiz, que veulent-ils ?
— Dix de nos femmes. Ce n’est rien.
Elle écarquilla les yeux de stupéfaction :
— Qu’avez-vous… ?
— Ils les soigneront bien. Ils leur rendront la santé et quand elles reviendront parmi nous, elles apporteront encore de la nourriture.
— Et qu’en pensent les femmes ?
Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule :
— Elles ne sont pas contentes.
— Ça ne m’étonne pas. (Elle examina les six femmes présentes. Elles formaient un petit groupe compact et les hommes les plus proches d’elles n’avaient pas fière mine.) Que veulent-ils en faire ?
— Nous ne le leur avons pas demandé.
— Parce que vous pensez bien le savoir. (Elle s’adressa à Dos Santos.) Que va-t-il se passer ?
— Ils ont déjà pris leur décision, répondit-il.
— Mais pourquoi ? Ils n’envisagent tout de même pas de troquer leurs épouses et leurs filles pour quelques sacs de grain ?
— Nous avons besoin de ce qu’ils nous offrent, intervint Luiz.
— Mais nous vous avons aussi promis des produits alimentaires. Le médecin est déjà en route.
— Oui… vous nous l’avez bien promis. Il y a deux mois que vous êtes ici, et toujours très peu de nourriture, toujours pas de médecin. Ces hommes sont honorables. Nous l’avons bien vu.
Il se retourna, face à la foule. Au bout d’un moment, il demanda un vote à main levée. Le marché fut confirmé. Pas une seule femme ne vota.
Elisabeth passa une nuit agitée, mais quand elle se leva au matin, elle savait ce qu’elle allait faire.
La veille avait été riche d’incidents tout à fait inattendus. Ironie du sort, l’événement sur lequel elle avait compté d’instinct ne s’était pas produit. Maintenant qu’elle voyait sous une perspective différente sa rencontre avec Helward, elle était en mesure de mettre en notes ce qu’elle avait ressenti ; son excitation était purement physique et elle avait chevauché jusqu’à la rivière avec l’idée bien nette de se donner à lui. Elle savait maintenant que cela aurait pu se produire jusqu’au moment où elle avait vu cette expression fanatique dans ses yeux. Elle éprouvait encore de vagues sentiments – ni peur ni étonnement, mais quelque chose entre les deux – dès qu’elle évoquait leur dernière conversation sous les arbres.
« C’est
Sans nul doute, le sens de cette scène lui avait en partie échappé. Le jour d’avant, Helward avait eu un comportement très différent… elle avait touché en lui une sensibilité cachée et il avait réagi comme n’importe quel homme. Jusque-là, il n’avait manifesté aucun symptôme de dérangement mental.