Toutefois, dans le calme de la vallée, il n’y avait pas à se méprendre sur le bruit des treuils.
Le bord avant de la ville atteignait juste l’entrée du pont lorsque retentirent les premières détonations. Je plaçai un carreau sur mon arbalète et mis le doigt sur le cran de sûreté.
La nuit était nuageuse et la visibilité faible. J’avais vu les éclairs des coups de feu et j’estimai que les tooks étaient disposés en demi-cercle à cent mètres environ de nos hommes. Impossible de deviner si leurs coups avaient porté, mais pour l’instant, il n’y avait pas de riposte.
D’autres coups de fusil claquèrent, ce qui signifiait que les tooks se rapprochaient. La ville était à demi engagée sur le pont… et continuait d’avancer très lentement.
D’en bas monta un ordre lointain :
— Lumières !
Aussitôt une batterie de huit lampes à arc placées en arrière de la ville fut allumée, projetant ses rayons par-dessus les têtes des arbalétriers, sur le terrain environnant. Les tooks étaient là, complètement à découvert.
Le premier rang d’arbalétriers lâcha ses traits, se coucha pour recharger. La deuxième ligne tira, se baissa et rechargea. La troisième rangée tira à son tour et rechargea.
Sous l’effet de la surprise, les tooks avaient subi des pertes, mais ils se plaquèrent au sol et déclenchèrent un feu nourri sur les défenseurs, dont les silhouettes se détachaient en noir sur le fond de lumière.
— Éteignez !
L’obscurité fut soudaine et les arbalétriers se dispersèrent. Quelques secondes après, les projecteurs se rallumaient et les défenseurs, depuis leurs nouvelles positions, décochèrent leurs carreaux.
Une fois encore, les tooks, désorientés, subirent des pertes. Les lumières s’éteignirent encore et les miliciens regagnèrent leur position de départ. La manœuvre se répéta.
Sur un ordre les projecteurs s’éclairèrent, révélant les tooks qui montaient à la charge. La ville était entièrement sur le pont.
Une explosion violente, puis un jet de flammes lécha le flanc de la ville. Un instant après, une seconde explosion eut lieu sur le pont même et les flammes se communiquèrent aux poutres sèches du pont sur tréteaux.
— Force de réserve !
Je me levai et attendis les ordres. Je n’avais plus peur et la nervosité de l’attente avait disparu.
— En avant !
Les lampes à arc brûlaient toujours et nous voyions clairement les tooks. La plupart d’entre eux étaient au corps à corps avec notre défense principale, mais d’autres, couchés au sol, visaient avec soin le haut de la ville. Deux des projecteurs, frappés en plein centre, s’éteignirent.
Les flammes s’étendaient sur le pont et au long des murailles.
Je vis près de la berge un took qui ramenait le bras en arrière pour lancer un cylindre de métal. Je n’étais pas à plus de vingt mètres de lui. Je visai, lâchai mon carreau… et atteignis l’homme en pleine poitrine. La bombe incendiaire roula à quelques mètres de lui et éclata avec une gerbe de flammes.
Comme nous l’avions espéré, notre contre-attaque fut une surprise totale pour l’ennemi. Nous abattîmes encore trois des assaillants… mais ils rompirent soudain pour s’enfuir à l’est et disparurent dans les ombres de la vallée.
Une terrible confusion régna pendant quelques minutes. La ville était en feu et sous le pont deux incendies faisaient rage. L’un des foyers se trouvait sous la ville même, et l’autre à quelques mètres en arrière. Il était de toute évidence urgent de lutter contre le feu ; cependant nous n’avions aucune certitude que tous les tooks se fussent repliés.
La ville poursuivait sa progression, mais aux endroits du pont où le feu faisait rage, des poutres entières tombaient dans la rivière.
L’ordre fut promptement rétabli. Un officier de la milice lança quelques ordres et les hommes se séparèrent en deux groupes. L’un d’eux se mit en position de défense autour des voies, et je me joignis à l’autre, qui allait lutter contre l’incendie du pont.
Après la deuxième attaque – au cours de laquelle les grenades incendiaires avaient été utilisées pour la première fois – des bouches d’incendie avaient été ouvertes dans les parois extérieures de la ville. La plus proche avait été endommagée par une explosion et l’eau se répandait à flots inutilement. Nous en trouvâmes une autre et déroulâmes la courte longueur de manche à eau.
L’incendie des voies était trop fort et la lutte contre ce foyer était presque désespérée. Bien que la cité eût dépassé le point le plus dangereux, trois des galets principaux devaient encore passer sur les poutrelles enflammées… et pendant que nous nous efforcions de lutter contre les flammes, je vis que les rails commençaient à se tordre sous les effets conjugués de la chaleur et du poids.
Un grondement, et une autre poutre s’écroula. La fumée était trop dense. Nous étouffions ; il fallut sortir de sous la ville.
Le feu brûlait toujours sur la superstructure, mais une équipe dans la ville s’en occupait. Les treuils tournaient… la cité s’avançait lentement vers la sécurité relative de la rive nord.
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