– J’allais dire, monsieur, que vous me donnez, en vérité, de vous et de votre sœur une bien triste idée. C’est la plus laide spéculation du monde, savez-vous, que celle que font certaines femmes sur leur déshonneur. Or, vous êtes venu, la menace à la bouche, comme les frères barbus de la comédie italienne, pour me forcer, l’épée à la main, ou à épouser votre sœur, ce qui prouve qu’elle a grand besoin d’un mari, ou à vous donner de l’argent, parce que vous savez que je fais de l’or. Eh bien, mon cher monsieur, vous vous êtes trompé sur les deux points: vous n’aurez point d’argent, et votre sœur restera fille.
– Alors, j’aurai de vous le sang que vous avez dans les veines, s’écria Philippe, si toutefois vous en avez.
– Non, pas même cela, monsieur.
– Comment?
– Le sang que j’ai, je le garde, et j’avais pour le répandre, si j’eusse voulu, une occasion plus sérieuse que celle que vous m’offrez. Ainsi, monsieur, obligez-moi de vous en retourner tranquillement et, si vous faites du bruit, comme ce bruit me fera mal à la tête, j’appellerai Fritz; Fritz viendra, et, sur un signe de moi, il vous brisera en deux comme un roseau. Allez.
Cette fois, Balsamo sonna, et, comme Philippe voulait l’en empêcher, il ouvrit un coffre d’ébène posé sur le guéridon, prit dans ce coffre un pistolet à deux coups qu’il arma.
– Eh bien, j’aime mieux cela, s’écria Philippe, tuez-moi!
– Pourquoi vous tuerais-je?
– Parce que vous m’avez déshonoré.
Le jeune homme prononça à son tour ces paroles avec un tel accent de vérité, que Balsamo, le regardant d’un œil plein de douceur:
– Serait-il donc possible, dit-il, que vous fussiez de bonne foi?
– Vous en doutez? Vous doutez de la parole d’un gentilhomme?
– Et, continua Balsamo, que mademoiselle de Taverney eût seule conçu l’indigne idée, qu’elle vous eût poussé en avant?… Je veux l’admettre; je vais donc vous donner une satisfaction. Je vous jure sur l’honneur que ma conduite envers mademoiselle votre sœur, dans la nuit du 31 mai, est irréprochable; que ni point d’honneur, ni tribunal humain, ni justice divine, ne peuvent trouver quoi que ce soit de contraire à la plus parfaite prud’homie; me croyez-vous?
– Monsieur! fit le jeune homme étonné.
– Vous savez que je ne crains pas un duel, cela se lit dans les yeux, n’est-ce pas? Quant à ma faiblesse, ne vous y trompez pas, elle n’est qu’apparente. J’ai peu de sang au visage, c’est vrai; mais mes muscles n’ont rien perdu de leur force. En voulez-vous une preuve? Tenez…
Et Balsamo souleva d’une seule main, et sans effort, un énorme vase de bronze posé sur un meuble de Boule.
– Eh bien, soit, monsieur, dit Philippe, je vous crois quant au 31 mai; mais c’est un subterfuge que vous employez, vous mettez votre parole sous la garantie d’une erreur de date. Depuis, vous avez revu ma sœur.
Balsamo hésita à son tour.
– C’est vrai, dit-il, je l’ai revue.
Et son front, éclairci un instant, s’assombrit d’une façon terrible.
– Ah! vous voyez bien! dit Philippe.
– Eh bien, que j’aie revu votre sœur, qu’est-ce que cela prouve contre moi?
– Cela prouve que vous l’avez plongée dans ce sommeil inexplicable dont trois fois déjà, à votre approche, elle a senti les atteintes, et que vous avez abusé de cette insensibilité pour obtenir le secret du crime.
– Encore une fois, qui dit cela? s’écria à son tour Balsamo.
– Ma sœur!
– Comment le sait-elle, puisqu’elle dormait?
– Ah! vous avouez donc qu’elle était endormie?
– Il y a plus, monsieur: j’avoue l’avoir endormie moi-même.
– Endormie?
– 0ui.
– Et dans quel but, si ce n’est pour la déshonorer?
– Dans quel but, hélas! dit Balsamo, laissant retomber sa tête sur sa poitrine.
– Parlez, parlez donc!
– Dans le but, monsieur, de lui faire révéler un secret qui m’était plus précieux que la vie.
– Oh! ruse, subterfuge!
– Et c’est dans cette nuit, continua Balsamo suivant sa pensée bien plutôt qu’il ne répondait à l’interrogation injurieuse de Philippe, c’est dans cette nuit que votre sœur?…
– À été déshonorée, oui, monsieur.
– Déshonorée?
– Ma sœur est mère!
Balsamo poussa un cri.
– Oh! c’est vrai, c’est vrai, dit-il, je me rappelle; je suis parti sans la réveiller.
– Vous avouez, vous avouez! s’écria Philippe.
– Oui, et quelque infâme, pendant cette nuit terrible, oh! terrible pour nous tous, monsieur, quelque infâme aura profité de son sommeil.
– Ah! voulez-vous me railler, monsieur?
– Non, je veux vous convaincre.
– Ce sera difficile.
– Où se trouve en ce moment votre sœur?
– Là où vous l’avez si bien découverte.
– À Trianon?
– Oui.
– Je vais à Trianon avec vous, monsieur.
Philippe demeura immobile d’étonnement.
– J’ai commis une faute, monsieur, dit Balsamo, mais je suis pur de tout crime. J’ai laissé cette enfant dans le sommeil magnétique. Eh bien, en compensation de cette faute, qu’il est juste de me pardonner, je vous apprendrai, moi, le nom du coupable.
– Dites-le, dites-le!
– Je ne le sais pas, moi, dit Balsamo.
– Qui donc le sait, alors?
– Votre sœur.
– Mais elle a refusé de me le dire.
– Peut-être, mais elle me le dira, à moi.
– Ma sœur?