Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome IV полностью

– Lorsque vous êtes monté chez ma sœur, continua Philippe s’animant de plus en plus, lorsque vous l’avez surprise et endormie par votre infernal pouvoir, Andrée était couchée, elle lisait, elle a senti l’invasion de cette torpeur que votre présence lui impose toujours, et elle a perdu connaissance. Or, vous dites que vous n’avez fait que de l’interroger; seulement, ajoutez-vous, vous êtes parti en oubliant de la réveiller, et cependant, ajouta Philippe en saisissant le poignet de Balsamo et en le serrant convulsivement, cependant, lorsqu’elle a repris ses sens, le lendemain, elle était, non plus dans son lit, mais au pied de son sofa, demi-nue… Répondez à cette accusation, monsieur, et ne tergiversez pas.

Pendant cette interpellation, Balsamo, pareil à un homme qu’on réveille lui même, chassait une à une les noires idées qui assombrissaient son esprit.

– En vérité, monsieur, dit-il, vous n’eussiez pas dû revenir sur ce sujet et me chercher ainsi une éternelle querelle: je suis venu ici par condescendance et par intérêt pour vous; il me semble que vous l’oubliez. Vous êtes jeune, vous êtes officier, vous avez l’habitude de parler haut en mettant la main sur un pommeau d’épée: tout cela vous fait raisonner faux en de graves circonstances. J’ai fait là-bas, chez moi, plus que je n’eusse dû faire pour vous convaincre et obtenir de vous un peu de repos. Vous recommencez; prenez-y garde, car, si vous me fatiguez, je m’endormirai dans la profondeur de mes chagrins, auprès desquels les vôtres, je vous jure, sont des passe-temps folâtres, et, quand je dors ainsi, monsieur, malheur à qui me réveille! Je ne suis point entré dans la chambre de votre sœur, voilà tout ce que je puis vous dire; c’est votre sœur qui, de son propre mouvement, auquel, je vous l’avoue, ma volonté avait une grande part, c’est votre sœur qui est venue me trouver au jardin.

Philippe fit un mouvement, mais Balsamo l’arrêta.

– Je vous ai promis une preuve, continua-t-il, je vous la donnerai. Est-ce tout de suite? Soit. Entrons à Trianon, plutôt que de perdre le temps à des inutilités. Préférez-vous attendre? Attendons, mais en silence et sans commotion, s’il vous plaît.

Cela dit, et de l’air que nos lecteurs lui connaissent, Balsamo éteignit l’éclair fugitif de son regard et se replongea dans sa méditation.

Philippe poussa un sourd rugissement, comme fait la bête farouche qui s’apprête à mordre; puis, changeant soudain d’attitude et de pensée:

– Avec cet homme, dit-il, il faut persuader ou dominer par une supériorité quelconque. Je n’ai pour l’heure aucun moyen de domination ou de persuasion; prenons patience.

Mais, comme il lui était impossible de prendre patience près de Balsamo, il sauta à bas de la voiture et commença d’arpenter l’allée verdoyante dans laquelle le carrosse était arrêté.

Au bout de dix minutes, Philippe sentit qu’il lui était impossible d’attendre plus longtemps.

Il préféra donc se faire ouvrir la grille avant l’heure, au risque d’éveiller les soupçons.

– D’ailleurs, murmurait Philippe caressant une idée qui, plusieurs fois déjà, s’était présentée à son esprit, d’ailleurs, quels soupçons peut concevoir le suisse si je lui dis que la santé de ma sœur m’a inquiété à ce point d’aller à Paris chercher un médecin, et d’amener ce médecin ici dès le lever du soleil?

Adoptant cette idée, qui, par le désir qu’il avait de la mettre à exécution, avait peu à peu perdu tous ses dangers, il courut au carrosse.

– Oui, monsieur, dit-il, vous aviez raison, il est inutile d’attendre plus longtemps. Venez, venez…

Mais il fallut qu’il renouvelât cet avertissement; à la seconde fois seulement, Balsamo se débarrassa de son manteau, dans lequel il était enveloppé, ferma sa houppelande sombre à boutons d’acier bruni, et sortit du carrosse.

Philippe prit un sentier qui le conduisit à la grille du parc, avec toute l’économie des diagonales.

– Marchons vite, dit-il à Balsamo.

Et son pas devint en effet si rapide, que Balsamo eut peine à le suivre.

La grille s’ouvrit, Philippe donna son explication au suisse, les deux hommes passèrent.

Lorsque la grille fut refermée sur eux, Philippe s’arrêta encore une fois.

– Monsieur, lui dit-il, un dernier mot… Nous voici au terme; je ne sais quelle question vous allez poser à ma sœur; épargnez-lui au moins le détail de l’horrible scène qui a pu se passer durant son sommeil. Épargnez la pureté de l’âme, puisque c’en est fait de la virginité du corps.

– Monsieur, répondit Balsamo, écoutez bien ceci: je ne suis jamais entré dans le parc plus loin que ces futaies que vous voyez là-bas, en face des bâtiments où loge votre sœur. Je n’ai, par conséquent jamais pénétré dans la chambre de mademoiselle de Taverney, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire. Quant à la scène dont vous redoutez l’effet sur l’esprit de mademoiselle votre sœur, cet effet ne se produira que pour vous, et sur une personne endormie, attendu que, dès à présent, dès ce pas que je fais, je vais ordonner à mademoiselle votre sœur de tomber dans le sommeil magnétique.

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