Harry sentait à nouveau son cœur battre à tout rompre. Tout cela n’était pas très logique.
– Mais pourquoi le professeur Dumbledore veut-il y mettre fin ? demanda abruptement Harry. Je ne peux pas dire que ça me plaise beaucoup mais c’est quand même utile, non ? J’ai vu ce serpent attaquer Mr Weasley. Si je n’avais rien vu du tout, le professeur Dumbledore n’aurait pas réussi à le sauver, vous ne croyez pas ? Monsieur ?
Rogue observa Harry pendant quelques instants, caressant toujours ses lèvres d’un doigt. Lorsqu’il reprit la parole, il s’exprima lentement, posément, comme s’il pesait chaque mot :
– Il apparaît que le Seigneur des Ténèbres n’a pris conscience de cette connexion entre vous et lui que très récemment. Jusqu’alors, il semble que vous éprouviez ses émotions et que vous partagiez ses pensées sans qu’il en ait connaissance. Cependant, la vision que vous avez eue peu avant Noël…
– Celle avec le serpent et Mr Weasley ?
– Ne m’interrompez pas, Potter, lança Rogue d’une voix menaçante. Comme je le disais, la vision que vous avez eue peu avant Noël a représenté une intrusion si puissante dans les pensées du Seigneur des Ténèbres…
– J’étais dans la tête du serpent, pas dans la sienne !
– Je croyais vous avoir dit de ne pas m’interrompre, Potter ?
Mais Harry se moquait bien de la colère de Rogue. Au moins, il abordait enfin le fond de la question. Il s’était avancé sur sa chaise à tel point que, sans s’en rendre compte, il était à présent perché tout au bord, aussi tendu que s’il s’apprêtait à s’envoler.
– Comment se fait-il que j’aie vu la scène à travers l’œil du serpent si ce sont les pensées de Voldemort que je partage ?
–
Il y eut un terrible silence. Tous deux se fusillèrent du regard par-dessus la Pensine.
– Le professeur Dumbledore prononce bien son nom, lui, dit Harry à mi-voix.
– Dumbledore est un sorcier aux pouvoirs extrêmement puissants, marmonna Rogue.
Il massa son avant-bras gauche, d’un geste apparemment machinal, à l’endroit où Harry savait qu’était gravée dans sa peau la Marque des Ténèbres.
– Je voulais simplement savoir, recommença Harry en se forçant à reprendre une voix polie, pourquoi…
– Il semble que vous vous soyez trouvé dans la tête du serpent parce que c’était là qu’était le Seigneur des Ténèbres à ce moment précis, gronda Rogue. Il avait pris possession du reptile et c’est pourquoi vous avez rêvé que vous étiez à l’intérieur.
– Et Vol… et lui, il s’est rendu compte que j’étais là ?
– Apparemment, oui, répondit Rogue avec froideur.
– Comment le savez-vous ? demanda aussitôt Harry. Est-ce que le professeur Dumbledore l’a simplement deviné ou…
– Je vous ai déjà dit, l’interrompit Rogue, raide dans son fauteuil, des fentes à la place des yeux, de m’appeler « monsieur ».
– Oui, monsieur, répondit Harry, agacé. Mais comment savez-vous… ?
– Il suffit que nous sachions, répliqua Rogue d’un ton autoritaire. Le point important, c’est que le Seigneur des Ténèbres sait maintenant que vous avez accès à ses pensées et à ses émotions. Il en a déduit que le processus pouvait sans doute s’inverser, c’est-à-dire que lui aussi avait la possibilité d’accéder à vos pensées et à vos émotions…
– Et il pourrait essayer de me faire faire des choses ? interrogea Harry.
– Il pourrait, en effet, dit Rogue, d’un ton froid et indifférent. Ce qui nous ramène à l’occlumancie.
Il sortit sa baguette magique d’une poche intérieure de sa robe et Harry se raidit sur sa chaise mais Rogue se contenta de lever sa baguette vers sa tempe et d’en appliquer l’extrémité à la racine de ses cheveux graisseux. Lorsqu’il l’en retira, une substance argentée y était collée et s’étirait entre la tempe et la baguette comme les filaments d’une épaisse toile d’araignée. Il éloigna un peu plus la baguette, le filament se détacha de sa tempe et tomba avec grâce dans la Pensine où il tournoya dans des reflets blancs et argent, ni gazeux ni liquides. À deux reprises, Rogue leva à nouveau la baguette vers sa tempe et déposa la substance argentée dans la bassine de pierre. Puis, sans donner la moindre explication, il prit précautionneusement la Pensine, la posa sur une étagère un peu plus loin et revint se placer devant Harry, sa baguette magique pointée sur lui.
– Levez-vous et sortez votre baguette, Potter.
Harry se leva avec une certaine appréhension. Ils étaient face à face, séparés par le bureau.
– Vous pouvez utiliser votre baguette pour essayer de me désarmer ou de vous défendre de la manière qui vous conviendra, dit Rogue.
– Qu’est-ce que vous allez faire ? demanda Harry en regardant avec inquiétude la baguette de Rogue.