— Pure folie ! cria Ebène. (Ses paroles résonnèrent contre les rochers ; les autres le regardèrent avec inquiétude.) Je suis désolé d’avoir parlé si fort. Mais je n’arrive pas à croire que vous puissiez entrer là-dedans. Nul besoin d’un magicien pour savoir que ce trou ne contient rien de bon. Moi, je le sens ! Retournons sur nos pas, et attaquons la citadelle par la porte frontale ; ce sera un jeu d’enfant par rapport à ce qui nous attend dans ces ténèbres de mauvais augure.
— Il a raison, Tanis, dit Caramon. On ne peut pas se battre contre les morts. Nous en avons fait l’expérience dans le Bois des Ombres.
— C’est le seul et unique chemin ! s’emporta Gilthanas. Vous êtes de tels poltrons…
— Entre la prudence et la couardise, il y a une différence, Gilthanas, intervint Tanis. Nous pourrions attaquer par la porte principale, mais les gardes donneront immédiatement l’alerte. Je propose d’entrer dans ce
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Le bâton du mage s’illumina. En compagnie du nain, Raistlin s’engagea dans la caverne, suivi du reste de la troupe.
— Et notre poursuivant ? demanda Sturm. On lui permet d’entrer ?
— Pour l’appâter, dit Tanis, laissons une petite ouverture, afin qu’il voie par où nous sommes passés. Très étroite, car il ne doit pas se douter que nous lui tendons un piège.
Gilthanas plaça le morceau de quartz dans une alvéole du rocher ; la faille commença à se refermer. Au dernier moment, il retira la gemme ; la paroi s’arrêta non loin du bord.
— J’ai trouvé de la poussière en quantité, mais pas d’empreintes, dit Raistlin, qui s’était remis à tousser.
— Moi j’en ai trouvé à cent trente pas d’ici, là où la grotte fait un coude. Elles ne proviennent pas des draconiens, ni des gobelins. Le mage prétend que le chemin de droite est dangereux.
— Nous resterons ici cette nuit, près de l’ouverture. Nous monterons la garde à tour de rôle des deux côtés de la caverne. Sturm et Caramon en premier. Ensuite, Gilthanas et moi, Ebène et Rivebise, Flint et Tasslehoff.
— Et moi ! dit fermement Tika. Je prendrai aussi un tour de garde.
— D’accord, répondit Tanis, réprimant un sourire. Tu iras avec Tass et Flint.
La jeune rousse étendit sa couverture sur le sol, puis sous le regard de Caramon, s’allongea le plus naturellement du monde. Elle remarqua qu’Ebène l’observait aussi. Tika avait l’habitude du regard admiratif des hommes, et Ebène était plus élégant que Caramon ; plus malin et plus séduisant aussi. Comme les hommes, elle avait gardé sa cotte de mailles pour dormir. Cela se révéla très inconfortable, mais elle était si fatiguée que le sommeil eut vite raison d’elle.
Les compagnons furent réveillés par la lumière du jour qui filtrait à travers la faille. Après un frugal repas, ils rassemblèrent leurs affaires et s’enfoncèrent dans le Sla-Mori. Arrivés devant la fourche, ils examinèrent les deux couloirs. Rivebise se pencha pour examiner les empreintes. Il se releva, l’air perplexe.
— Ce sont des traces d’êtres humains et de rats, mais il y en a d’autres, indéfinissables. Le nain avait raison, les draconiens et les hobgobelins n’ont jamais mis les pieds ici. Ce qui me trouble, c’est que les empreintes de rats s’arrêtent devant le couloir de droite. Celles que je n’identifie pas s’arrêtent devant celui de gauche.
— Quel couloir choisissons-nous ? demanda Tanis aux compagnons.
— Aucun des deux ! déclara Ebène. Retournons sur nos pas.
— Il n’est pas question de rebrousser chemin, répliqua Tanis. Je te laisserais bien partir, mais…
— … Tu n’as pas confiance en moi, acheva Ebène à sa place. Je ne peux pas t’en vouloir, Tanis. J’ai dit que je vous aiderais, et je le ferai. Alors, à gauche ou à droite ?
— À droite, c’est mauvais, dit Raistlin.
— Gilthanas ? interrogea Tanis. As-tu la moindre idée où nous sommes ?
— Non, Tanthalas. Selon la légende, il existe plusieurs sorties du Sla-Mori sur Pax Tharkas. Elles sont toutes restées secrètes. Les seuls elfes à avoir accès à cet endroit étaient les prêtres qui célébraient les morts. Que nous prenions l’un ou l’autre…
— Ce sera celui de gauche, dit Tanis, puisque Raistlin redoute celui de droite.
Sur plusieurs centaines de pas, les compagnons suivirent la lueur du bâton de Raistlin. Ils débouchèrent dans un grand espace sombre qui avait dû être une salle de cérémonie. Deux rangées de sept colonnes, dont certaines s’étaient brisées sur le sol, couraient tout autour de l’immense salle aux murs craquelés partiellement affaissés, un souvenir du Cataclysme. Au fond de la salle, se dressaient deux grandes portes de bronze.
Raistlin avança. Les autres le suivirent, l’épée au poing. Soudain, Caramon poussa un cri de surprise. Le mage se précipita pour éclairer ce que le guerrier montrait du doigt.