— Je crois qu’il faut prendre le couloir de droite, quels que soient les mauvais pressentiments de Raistlin.
Le regard du mage s’attarda sur l’épée que Tanis avait rengainé.
— Cette arme est ensorcelée, dit doucement Raistlin. Comment l’as-tu trouvée ?
— J’étais près du tombeau du roi des elfes, et je cherchais un objet à lancer à la tête de la limace quand cette épée s’est retrouvée soudain entre mes mains. Elle avait été dégainée, et…
— Et alors… ? demanda Raistlin avec impatience.
— Il me l’a donnée. Je me souviens que sa main a touché la mienne…
— Mais qui ? demanda Gilthanas. Aucun de nous n’était là.
— Kith-Kanan…
9
La Garde royale. La Salle de la Chaîne.
Peut-être était-ce un effet de l’imagination des compagnons, mais les ténèbres devenaient de plus en plus denses et l’air de plus en plus froid. Quand les explorateurs arrivèrent à un carrefour, aucun ne voulut prendre le tunnel de gauche, par crainte de retomber sur la Salle des Ancêtres ou sur l’antre de la gigantesque limace.
— L’elfe a failli nous faire passer de vie à trépas en nous jetant dans la gueule d’un monstre, je me demande sur quoi nous allons encore tomber ! grommela Ebène.
Personne ne répondit. Chacun reconnaissait l’atmosphère sinistre que Raistlin avait annoncée. Seule la solidarité qui liait les membres du groupe les faisait encore avancer.
Le tunnel se termina brusquement sur un amoncellement de gravats provenant d’un trou percé dans la paroi rocheuse. Il s’en dégageait une énergie maléfique terrifiante, qui passait sur la peau comme une main glacée invisible. Tous s’arrêtèrent ; même l’intrépide kender n’osa franchir l’ouverture béante.
— Tu sais bien que ce n’est pas la peur qui me retient, dit-il à Flint. Simplement, je préfère être ailleurs que dans ce trou.
Le silence se fit oppressant. Chacun ne perçut plus que les battements de son cœur et le souffle de la respiration des autres. Le bâton lumineux tremblait dans la main du mage.
— Bon, nous n’allons pas nous éterniser, déclara Ebène d’un ton cassant. Envoyons l’elfe en reconnaissance, puisque c’est lui qui nous a amenés ici.
— C’est moi qui irai, déclara Gilthanas. Mais j’ai besoin de lumière.
— Personne ne doit toucher ce bâton en dehors de moi, siffla Raistlin. J’irai avec toi, ajouta-t-il à contrecœur après une pause.
— Je vous accompagne, murmura Caramon.
— Pas question, dit Tanis. Tu restes là et tu veilles sur les autres. C’est moi qui irai avec Gilthanas et Raistlin.
Gilthanas passa le premier, suivi du mage, soutenu par Tanis. Ils découvrirent une petite salle pourvue sur deux côtés de portes de pierre dont les charnières étaient encastrées dans le rocher.
— Elles sont décorées de sculptures, fit remarquer Tanis. Raistlin, approche ton bâton.
— Le blason royal ! s’exclama Gilthanas en découvrant les motifs des portes.
— Et qu’est-ce que ça signifie ? interrogea Tanis, gagné par la frayeur de l’elfe.
— Nous sommes dans la crypte de la Garde royale, répondit Gilthanas d’une voix blanche. Selon la légende, les soldats du roi ont fait le serment de veiller sur sa sépulture par-delà la mort.
— Et la légende est réalité ! souffla Raistlin, agrippé au bras de Tanis.
Les énormes blocs de pierre glissèrent sur leurs gonds, qui grincèrent de façon sinistre. Par les portes largement ouvertes, un courant d’air glacial traversa leurs corps jusqu’à l’engourdissement. Derrière les portes se mouvaient des formes indistinctes.
— Les gardes ! Les empreintes indéfinissables étaient les leurs ! s’écria Raistlin, affolé. Des empreintes d’êtres humains qui n’en sont plus ! Nous sommes perdus ! Contrairement aux spectres du Bois des Ombres, ceux-ci n’ont qu’une chose en tête : anéantir les auteurs du viol de la sépulture royale.
— Il faut tenter quelque chose ! dit Tanis en se dégageant de l’étreinte du mage.
Il avança vers une des portes et se trouva bloqué par deux revenants.
— N’avancez pas ! cria Tanis aux compagnons. Restez à distance ! Qui est-ce ? Fizban ! Non, mon vieux, il faut que tu t’éloignes. Ce sont des gardes morts…, des spectres !
— Calme-toi, murmura le vieillard. Vous, les jeunes, vous vous affolez pour un rien.
Il se retourna et fit entrer Lunedor.
— Tout va bien, Tanis, dit-elle avec douceur. (Elle entrouvrit sa cape : l’amulette s’était auréolée de bleu.) Fizban affirme qu’ils nous laisseront passer s’ils voient mon pendentif. Au moment où il le disait, le bijou s’est illuminé !
— Pas question ! rétorqua Tanis, prêt à ordonner la retraite.
Mais Fizban le retint d’un index brandi.
— Tu es un brave garçon, Tanis, dit-il, mais tu te fais beaucoup trop de souci. Maintenant détends-toi et renvoyons ces pauvres hères à leur sommeil éternel. Dis aux autres de venir, s’il te plaît.
Trop abasourdi pour proférer une parole, Tanis s’effaça devant Lunedor et Rivebise qui défilèrent lentement devant les spectres alignés. Après le passage de la jeune femme, les gardes retournaient à leur posture figée ; l’atmosphère maléfique disparaissait au fur et à mesure qu’elle avançait.