— Eh bien tant mieux ! dit Lunedor. Il y aura peut-être moyen de sortir du bois. Suivons le chevalier.
Sans se retourner, elle rejoignit Sturm, et ils se mirent en route. Les autres suivirent sans objections.
Sturm avançait en fendant les broussailles. Il se frayait un chemin en direction du sud-ouest, quand un sentier s’ouvrit devant lui.
— Qui a pu dégager cette voie ? demanda Tanis.
— Je ne vois vraiment pas, répondit Rivebise. Le sentier est ancien. Regarde cet arbre déraciné, il est couvert de lierre. Mais il est bizarre que la végétation n’ait pas envahi le chemin.
— Des gobelins, des bateaux, des hommes-lézards, des cerfs invisibles, et puis quoi encore ? grogna Flint.
Suivi de ses compagnons, Sturm avança à toute allure. Brûlant de fièvre, il était mû par une force intérieure qui le guidait. Le sentier menait au sommet du Pic du Prieur, entre les deux mains jointes qui formaient la vieille montagne.
Rampant avec Rivebise jusqu’au bord du promontoire, Tanis risqua un œil en contrebas. Pas étonnant que les bruits de la forêt aient cessé : les horribles créatures escaladaient le versant de la montagne. Sturm et le Cerf Blanc leur avaient sauvé la vie.
Hélas, les monstres découvriraient vite le sentier caché que la petite troupe venait d’emprunter. Le regard de Tanis quitta la route de Haven où se déplaçaient leurs monstrueux ennemis, et se tourna vers le nord.
Il fronça les sourcils. Dans le lointain, quelque chose d’inhabituel se passait. De gros nuages orageux s’amoncelaient à l’horizon, pesant sur la terre comme un couvercle. Le doigt pointé vers le nord, Tanis interrogea Rivebise du regard.
— Des feux de camp !
— Des
— Les rumeurs se confirment, dit Sturm quand Tanis et Rivebise eurent rejoint le groupe. Il y a bel et bien une armée qui stationne dans le nord.
— Mais qui veulent-ils attaquer ? A-t-on besoin d’une armée pour trouver un bâton ? ricana Caramon.
— Le bâton n’est qu’un élément de l’histoire, dit Raistlin. Rappelez-vous les étoiles disparues du ciel !
— Balivernes ! grogna Flint.
— Je ne parle pas pour les enfants, riposta le magicien. Toi, le nain, tu ferais bien de faire attention à ce que je dis !
— Le cerf ! Le cerf est là ! s’exclama Sturm en montrant ce qui, pour ses compagnons, n’était qu’un gros rocher. Il est temps de repartir.
La journée était bien avancée quand ils pénétrèrent dans l’étroit défilé du Pic du Prieur.
— Je mangerais volontiers quelque chose, soupira Flint.
— J’ai une telle faim que je suis prêt à dévorer mes bottes ! renchérit Caramon.
— Si ce cerf existait en chair et en os, il servirait à autre chose qu’à se perdre, dit Flint.
— Silence ! hurla Sturm, prêt à se jeter sur le nain.
Tanis le retint par la manche.
— Allons-y.
Sur l’autre versant de la montagne, le soleil brillait dans un ciel sans nuages. Devant eux, des prairies d’herbe drue ondulaient jusqu’à la lisière de lointaines forêts. Pour la première fois, ils eurent trop chaud. Flint ne cessait de se plaindre de la lumière, trop vive, et du soleil, trop envahissant.
— Je crois que je vais balancer le nain du haut de cette montagne, grommela Caramon.
— N’en fais rien, il râlerait pendant toute la descente et trahirait notre présence, répondit Tanis en souriant.
— Mais qui pourrait nous entendre ? Nous sommes les premiers êtres vivants à poser les yeux sur cette vallée.
— Les premiers êtres vivants, tu n’as pas tort de le souligner, Caramon. Car ce que tu contemples se nomme le Bois des Ombres.
Personne ne souffla mot.
Tanis rejoignit Sturm, campé sur un rocher, sa cape flottant au vent.
— Sturm, vois-tu encore le Cerf Blanc ?
— Oui, il a traversé les prairies, et je repère ses traces dans l’herbe. Il a disparu entre les arbres.
— Donc dans le Bois des Ombres, murmura Tanis.
— Qui a dit que c’était le Bois des Ombres ?
— Raistlin.
— Bah !
— C’est un mage, dit Tanis.
— C’est un fou, répliqua Sturm en haussant les épaules. Mais tu peux très bien rester ici et prendre racine si le cœur t’en dit. Moi, je suivrai le cerf, comme l’a fait Huma, même s’il me mène au Bois des Ombres.
Le chevalier se drapa dans sa cape et descendit la sente menant au pied de la montagne. Tanis rejoignit les autres.
— Le cerf le conduit vers le bois, dit-il. Raistlin, es-tu absolument certain qu’il s’agit du Bois des Ombres ?
— Comment être sûr de quelque chose en ce monde, Demi-Elfe ? Je ne suis pas certain d’être encore en vie dans la minute qui suit. Mais vas-y ! Entre dans ce bois dont personne n’est jamais sorti. L’unique certitude en ce monde est la mort.
Le demi-elfe réprima une impérieuse envie de pousser le mage au bas de la pente. Il vit que le chevalier l’avait presque atteint.
— Je vais avec Sturm, dit-il brusquement. Mais je n’assumerai pas la responsabilité de votre décision. Vous choisissez ce que bon vous semble.
— Je viens avec toi ! dit Tasslehoff.
— Des fantômes ! railla Flint en regardant Raistlin d’un air excédé.