L'ancien l'a fixée de son regard aimant comme si dans le silence de cette heure extrême, il avait concentré en son affection ses dernières pensées.
Avec soin, Célia a arrangé ses oreillers, après avoir déposé un baiser en larmes, et s'est dirigé à l'intérieur pour tenir sa mère informée.
Cneius Lucius était tombé dans un épuisement profond. La dyspnée implacable lui coupait la parole et il avait sombré dans une lente agonie qui allait durer plus de soixante-dix heures.
Les moyens médicaux de l'époque à base de frictions et de breuvages n'y purent rien. Le mourant perdait de son « tonus vital », peu à peu, dans les plus grandes souffrances.
Les larmes de Marcia et de Publicia se mêlèrent à celles d'Alba Lucinie et de sa fille, face aux rudes épreuves du vieillard adoré. Un serviteur fut envoyé d'urgence à Capoue, demandant la présence de Caius Fabrice et de sa femme qui pourraient, peut-être, arriver à Rome pour les derniers hommages.
Dans la matinée du troisième jour d'une agonie douloureuse, comme cela se produit avec les personnes d'un âge avancé, Célia perçut que son grand-père vivait les derniers instants de son existence terrestre., sa respiration était presque imperceptible, un froid intense commençait à envahir ses pieds et ses mains.
Toute la famille comprit que l'instant suprême était arrivé... Avec une expression de désolation résignée, Marcia s'est assise auprès de son vénérable père, prenant sa tête sur ses genoux affectueusement, alors que Célia tenait ses mains froides et ridées... Priant avec ferveur, elle demandait à Jésus de recevoir son grand-père dans la lumière de sa miséricorde. Dans l'extase de sa foi, la jeune chrétienne sentit que la chambre spacieuse se remplissait d'une clarté inconnue et indéfinissable. Elle crut pouvoir distinguer des êtres lumineux, aériens, croiser l'alcôve dans toutes les directions... Parfois, elle arrivait à fixer leur physionomie, bien qu'elle ne puisse les identifier, surprise par la vision des tuniques immaculées semblables à de grande toge de neige translucide...
Cependant, parmi ces êtres radieux, elle distingua quelqu'un qu'elle connaissait. C'était Nestor qui la consolait avec un sourire chaleureux. Elle comprit alors que les bien-aimés qui nous précèdent dans la tombe viennent souhaiter la bienvenue à ceux qui ont atteint leur dernière heure sur terre. À cet instant lumineux, son cœur se remplit de joie et de radieux espoirs... Elle voulut parler à la vision de Nestor et lui demander des nouvelles de Cirus, mais elle s'est abstenue de prononcer un seul mot craignant que sa vision bénie ne se défasse... Toutefois, comme si ses pensées les plus intimes avaient été entendues par l'ami désincarné, elle perçut que l'ex-esclave lui parlait et étrangement elle entendit sa voix, comme si le phénomène obéissait à un nouveau mode d'audition intracérébrale.
- Ma fille - semblait lui dire l'Esprit Nestor, affectueusement -, Cirus est déjà reparti et tu le verras bientôt !... Calme ton cœur et garde ta foi sans dédaigner le sacrifice !... Au revoir!... Avec quelques amis dévoués, nous sommes venus chercher ici le cœur d'un juste !...
Les yeux en larmes, la fille d'Helvidius a remarqué que Nestor a étreint le mourant alors qu'une force invincible l'arrachait de l'extase la faisant retourner à la vie ordinaire.
Comme si elle arrivait d'un autre plan, elle entendit que Marcia et sa mère sanglotaient et s'assura que le mourant avait poussé son dernier soupir.
La conscience édifiée par les profondes épreuves d'une longue vie, Cneius Lucius est parti à l'aube quand le merveilleux soleil romain commençait à dorer les collines de l'Aventin avec les premiers baisers de l'aube...
Alors un pénible deuil s'est abattu sur le palais qui, pendant tant d'années, avait servi de nid à ses grands sentiments. Pendant huit jours, ses restes furent exposés à la visite publique où se confondaient des nobles et des plébéiens qui venaient tous lui témoigner leur reconnaissance.
La nouvelle du funeste événement fut envoyée à Helvidius par les messagers de l'Empereur, alors que Caius et son épouse arrivaient de Campanie afin d'assister aux derniers hommages de l'illustre et cher défunt.
Cneius Lucius n'eut pas le réconfort de la présence d'Helvidius, mais Corneille fit son possible pour que toutes les mesures nécessaires fussent prises et pour qu'il reçoive les honneurs de l'État. Ainsi, le vénérable patricien, légitimement connu et estimé pour ses vertus
morales et civiques, avant de descendre dans sa tombe reçut les hommages de la ville en grande pompe.
CALOMNIE ET SACRIFICE
Helvidius Lucius se trouvait entre la Thessalie et la Béotie quand arriva la nouvelle du décès de son père. Il était inutile de penser faire une visite à Rome pour consoler les siens, non seulement parce que plusieurs Jours étaient déjà passés mais aussi parce qu'il avait beaucoup de travail dans les nouvelles fonctions qui lui étaient confiées au gré des caprices de l'Empereur.