Mon ami, entre nous, je dois te dire que mon mari n'est homme qui justifie les plus précieux usages de la culture romaine. Tu imagines combien il m'en coûte de te faire cette confidence, mais je désire veiller à la paix de ton foyer par dessus tout. Hypocrite et impulsif de nature, Lolius Urbicus a fait de nombreuses victimes sur le terrain de ses aventures de conquérant invétéré. Je crains pour ta femme et ta fille.
Helvidius devint pâle, mais Claudia percevant l'effet de ses paroles, continua impitoyable :
Nous vivons à une époque de surprises terribles où les plus solides réputations chancellent brusquement... Depuis que je suis mariée avec le préfet, je passe par une série d'épreuves. Ses aventures amoureuses m'ont causé de grandes déceptions, vu l'immense clameur de ses victimes et les répercutions sur mon cœur...
Par Jupiter ! - a murmuré le tribun fortement Impressionné - je ne peux contester tes appréciations, mais je veux croire que Fabius Corneille ne pourrait s'être trompé depuis tant d'années élisant le préfet comme l'un de ses meilleurs amis.
Oui, à première vue, cet argument semble tenir - a répondu Sabine avec astuce -, mais il faut se souvenir, cher ami, qu'après de nombreuses années pendant lesquelles tu as été habitué à la tranquillité de la province, tu recommences ta vie dans la capitale de l'Empire. Le temps sera là pour prouver que le censeur et le préfet se sont fortement identifiés dans tant d'affaires de l'État. Tous deux sont obligés de se respecter et de s'apprécier mutuellement, mais quant à leur conduite individuelle, seuls les dieux connaissent la réalité de mes affirmations.
Helvidius Lucius dévia alors leur entretien sur d'autres sujets de conversation, reconnaissant la délicatesse de ces commentaires sur l'honorabilité d'autrui et à propos de son foyer ; mais, quand Sabine s'est levée, il s'est senti contaminé par des soupçons injustifiables et vains. Que signifiaient les visites réitérées de Lolius Urbicus chez lui ? Par hasard, Alba Lucinie aurait-elle oublié ses devoirs sacrés ? Fabius Corneille serait-il si attaché aux intérêts matériels au point d'oublier le nom et les respectables traditions de sa famille ? Dans l'esprit du tribun, le flux des cogitations intimes s'embrouillait et le tourmentait. Encore heureux que cette déchirante absence était sur le point de se terminer. Aelius Hadrien avait déjà envoyé des ordres pour que les galères quittent l'Italie et les ramènent sur le chemin du retour.
À Rome, cependant, la situation d'Alba Lucinie et de sa fille atteignait le summum de la souffrance morale. À plusieurs reprises, Célia avait perçu des entretiens entre sa mère et l'impitoyable conquérant, mais vu sa timidité, elle ne put percevoir toute la répulsion de sa mère lace à l'infamie et à la cruelle audace de cet homme. Lucinie, à son tour, lors de visite chez elle et alors qu'elle s'absentait brièvement de la présence de ses amies, avait quelques fois rencontré le préfet des prétoriens échangeant des propos avec sa fille qui l'accueillait avec toute la tolérance de ses bons sentiments pour ne pas blesser le cœur maternel. La femme d'Helvidius craignait, sincèrement, la présence de cet homme cruel, transformé en démon de son foyer.
La noble Lucinie, abattue et malade, pensa exposer la situation à son vieux père, néanmoins, elle se dit que le censeur aurait dû percevoir depuis longtemps sa position angoissante sur le plan moral, supposant donc que s'il se taisait, c'est qu'il avait de bonnes raisons à cela.
Plusieurs fois, elle avait essayé de parler de ce sujet si délicat à sa fille, la supposant aussi victime des persécutions insidieuses de l'ennemi de leur tranquillité ; néanmoins, Célia, avec sa pudeur naturelle, n'avait jamais fait de confidences à sa mère déviant chaque fois le cours de la conversation et redoublant d'affection à son égard, car elle devinait ses plus angoissantes préoccupations.
Finalement, alors qu'il ne manquait que deux mois avant le retour définitif d'Helvidius, Alba Lucinie fut alitée, extrêmement abattue.
Cela faisait plus d'un an que l'Empereur s'était absenté.
Ce furent quatorze mois d'angoisses pour la fille de Fabius Corneille dont la santé n'avait pu résister au choc des épreuves les plus accablantes. Célia, aussi, avait le teint pâle et une expression triste sur le visage. À travers ses traits, on pouvait noter sa faiblesse organique. Les inquiétudes de sa fille se traduisaient par de longues nuits d'insomnie qui finirent par ruiner sa santé auparavant vigoureuse. Avec sa tendresse innée, elle faisait tout pour réconforter sa chère mère souffrante.
Des ports d'Italie quatre grandes galères furent envoyées pour le retour d'Hadrien et de sa suite. Le premier bateau arrivé sur le littoral d'Attique fut disputé par ceux qui étaient les plus impatients de retourner à Rome, dont Claudia Sabine qui prétextait avoir besoin de repartir au plus vite car elle disait être demandée auprès des siens.