Attendre la nuit est bien long. Elle se rappelle l’attente de la fin du jeûne de ramadan, au printemps ou en été, interminable. Petite elle trichait, elle avait trop soif en fin d’après-midi, elle allait boire aux toilettes et puis, honteuse, demandait pardon à Dieu. Attendre en aidant à la préparation des plats de l’
Maintenant elle attend pour aller récupérer le cadavre de Marwan. Habib et les autres ont recommencé à jouer aux cartes en fumant. De temps en temps un des combattants va jeter un coup d’œil dehors, une ronde rapide.
Aussi long que puisse paraître le crépuscule, la nuit finit toujours par arriver.
Habib et ses soldats mangent du halva avec un peu de pain. Ahmad lui en offre, elle refuse de la tête. Hier c’est Marwan qui lui en aurait proposé. Les combattants sont les mêmes, ils font exactement les mêmes choses qu’hier, fument, jouent aux cartes, mangent du halva ou des sardines, Marwan est mort pour rien, rien n’a changé dans le monde, absolument rien, quelqu’un joue à sa place, quelqu’un mange à sa place, quelqu’un offre du halva à Intissar à sa place, la ville va tomber, les combattants vont la quitter et Marwan va rester là. Intissar somnole un moment, les bras croisés, le menton contre la poitrine.
C’est Habib qui la réveille en lui touchant doucement l’épaule.
— Prépare-toi, on va y aller.
Elle se lève, se dégourdit les jambes, vide la bouteille d’eau, s’isole dans la salle de bains hors d’usage et jonchée d’excréments, elle en ressort presque immédiatement, l’estomac au bord des lèvres.
Il fait toujours aussi chaud. Elle enlève un moment sa veste, son tee-shirt kaki est trempé. Elle se recule un peu dans la pénombre et retire son soutien-gorge. Tant pis pour la pudeur, la décence, ou le confort de la course. Elle jette dans un recoin obscur le sous-vêtement gorgé de sueur.
Comme toujours avant une opération, son cœur bat plus vite, sa bouche est sèche. Elle a d’étranges crampes dans la mâchoire. Elle se concentre, contrôle son arme, les munitions, les grenades. Elle vérifie les nœuds de ses lacets, le cran de sa ceinture. Elle est prête. Habib et les autres font tourner un dernier joint et une bouteille d’eau. Ahmad, Habib et Intissar vont sortir. Les trois autres restent ici au cas où. L’un s’est installé sur le siège derrière la mitrailleuse pour pouvoir couvrir leur retraite si quelque chose se passe mal. Le deuxième prépare des RPG, et le troisième finit le haschisch en regardant le plafond.