Le sourire d’Isaac a disparu et une lumière froide est apparue dans son regard, une lumière que même moi, je voyais. « Ce que je
— Comment le savez-vous ? ai-je demandé.
— Je ne peux pas parler aux Hypothétiques – je ne suis pas ce que croit Oscar –, mais j’entends leur tic-tac dans le noir. Pas leurs pensées… leurs
— Ce n’est pas grand-chose, a dit Turk.
— Si vous pouvez vous en sortir, je veux vous aider. Ça non plus, ce n’est
Un vague sourire lui est revenu aux lèvres, mais rempli d’amertume. « Si je ne peux pas partir, j’arriverai éventuellement à me cacher. Je suis en train d’essayer de créer un espace protégé à l’intérieur du Réseau. Pas pour mon corps, pour mon
En tant que Treya, je n’avais pas beaucoup réfléchi au Coryphée. Peu d’entre nous y réfléchissaient. C’était une abstraction, un nom pour les processeurs invisibles qui faisaient silencieusement l’intermédiaire entre le Réseau et le nœud. Nos professeurs nous avaient montré un diagramme explicatif :
et nous n’avions jamais voulu ou eu besoin d’en savoir davantage. C’était un système stable, autoprotecteur, autonome, et qui fonctionnait parfaitement depuis cinq siècles. Quelle signification pourrait donc avoir de dire que le Coryphée avait perdu la raison ?
Le problème, c’était les prophéties voxaises. Nos fondateurs les avaient inscrites comme des axiomes immuables dans le Coryphée, comme des vérités intégrées qu’on ne discuterait ou réévaluerait jamais. Cela n’avait pas eu d’importance quand l’extase avec les Hypothétiques était un but distant dont nous approchions à petits pas. Mais le problème se posait à présent brutalement. Les prophéties s’étaient heurtées à la réalité et la conclusion évidente – qu’elles pouvaient être fausses – était une possibilité que le Coryphée avait interdiction d’envisager.
Ce conflit se déroulait dans les systèmes de surveillance et d’infrastructure qui liaient nos vies à notre technologie, il se déroulait dans les interfaces limbiques et les émotions personnelles de quiconque portait un nœud. « Ce qui le rend particulièrement dangereux, a dit Isaac, c’est qu’on ne peut pas prédire le résultat. La conséquence la plus probable est une tendance asymptotique vers un comportement autodestructeur dans les aspects organiques comme dans les aspects inanimés du système. » Il a ensuite ajouté : « Ça se produit déjà… plus vite que je m’y attendais. »
Je lui ai demandé ce qu’il voulait dire par là, question que j’ai ensuite regrettée.
« Nous sommes à quelques jours de la fin de Vox. Nous n’avons donc pas besoin de nourriture excédentaire. Ni de personnes excédentaires, si elles ne veulent pas faire partie du processus. » Il a détourné le regard, comme s’il ne pouvait supporter de croiser le nôtre. « Le Coryphée est en train de tuer les derniers Fermiers. »
J’ai refusé d’y croire sans preuve. Aussitôt Isaac parti, je suis montée par transport vertical sur l’une des hautes tours, où j’ai trouvé une fenêtre panoramique. Il faisait nuit, mais le ciel était d’une transparence inhabituelle et la lune brillait au nord sur l’horizon.
Les Fermiers avaient vécu dans les espaces creux sous les îles périphériques de l’archipel de Vox. Ils étaient environ trente mille avant la rébellion, moins nombreux après, mais au moins la moitié.
Il n’en restait aucun.
Les îles périphériques coulaient. Le Coryphée avait rompu leurs amarres avec l’île centrale et ouvert leurs anciens accès à la mer.