Tout cela était bien entendu illégal, et extrêmement lucratif. Rien que la semaine précédente, le FBI avait démantelé à Boca Raton un réseau de distribution dont le chiffre d’affaires dépassait celui de la plupart des cinquante plus grosses entreprises commerciales du pays, et ce n’était qu’une fraction du marché. Bose avait raison : en fin de compte, pour certains, la vie valait tout ce qu’on possédait.
« La drogue de longévité n’est pas facile à produire, disait Bose. Elle est à la fois organisme et molécule. Il faut une réserve génétique, un bioréacteur de bonne taille et beaucoup de substances, genre produits chimiques ou catalyseurs, surveillées de près. Il faut donc payer beaucoup de gens pour qu’ils ferment les yeux.
— Y compris au sein de la police de Houston ?
— Il ne semble pas déraisonnable de tirer cette conclusion.
— Et vous en êtes conscient ? »
Il haussa les épaules.
« Mais il doit bien y avoir quelqu’un à qui vous pourriez en parler… je ne sais pas, le FBI, les stups fédéraux…
— Je crois que les agences fédérales sont très occupées, en ce moment.
— Bon, d’accord, dit Sandra, mais quel rapport avec Orrin Mather, tout ça ?
— Ce n’est pas tant Orrin que l’endroit où il travaillait. Dès qu’il est descendu du car de Raleigh, Orrin a été engagé par un nommé Findley, le gérant d’un entrepôt qui stocke et expédie des produits d’importation, principalement des merdouilles en plastique bon marché fabriquées en Turquie, en Syrie ou au Liban. La plupart de ses employés sont des gens de passage ou des immigrants sans papiers. Il ne leur demande pas leur numéro de sécurité sociale et les paye au noir. Il a mis Orrin sur un boulot classique de manutention. Mais Orrin s’est révélé différent des employés dont Findley avait l’habitude : il arrivait au travail sobre et à l’heure, il était assez malin pour suivre les ordres, il ne se plaignait jamais et il se fichait de trouver une meilleure place, du moment que la paye tombait à intervalles réguliers. Si bien qu’au bout d’un moment, Findley l’a fait gardien de nuit. En général, de minuit à l’aube, Orrin était enfermé dans l’entrepôt avec un téléphone et l’horaire de ses rondes, sans autre obligation que faire le tour du bâtiment toutes les heures et appeler un numéro donné s’il remarquait quoi que ce soit d’inhabituel.
— Un numéro donné ? Pas la police ?
— Surtout pas, vu qu’au milieu de tous les jouets emboutis et de la vaisselle en plastique, il passe dans cet entrepôt des cargaisons de précurseurs chimiques destinés aux bioréacteurs du marché noir.
— Orrin le savait ?
— Pas sûr. Il avait peut-être des soupçons. Toujours est-il que Findley l’a viré il y a deux mois, peut-être parce qu’Orrin commençait à connaître un peu trop en détail l’opération. Une partie du matériel clandestin de Findley arrive et repart en dehors des heures d’ouverture, si bien qu’Orrin a pu voir quelques transferts. Le licenciement a pas mal traumatisé Orrin… il a dû s’imaginer qu’on le punissait pour quelque chose.
— Il vous en a parlé ?
— Un peu, à contrecœur. Il a juste dit qu’il n’avait rien fait de mal et que le moment n’était pas venu pour lui de partir. »
Sandra demanda une autre Corona, ce qui lui donna du temps pour réfléchir. Les explications de Bose semblaient rendre la situation encore moins limpide. Elle décida de se concentrer sur la seule partie qu’elle comprenait vraiment et sur laquelle elle avait prise : l’évaluation d’Orrin au State Care.
Bose revint avec une bière, que Sandra prit mais posa tout de suite sur la table basse marquée de taches circulaires. Il a besoin de nouveaux meubles, se dit-elle. Ou au moins de sous-verre.
« Vous pensez qu’Orrin pourrait avoir des informations compromettantes pour une opération de contrebande criminelle. »
Bose hocha la tête. « Tout cela n’aurait aucune importance si Orrin n’avait été qu’un des types de passage comme les embauche Findley. Il aurait quitté la ville, ou trouvé un autre travail, ou disparu parmi les miséreux, point final. Sauf qu’Orrin a refait surface quand nous l’avons interpellé. Pire, quand on l’a interrogé sur ses antécédents professionnels, il a aussitôt raconté ses six mois dans cet entrepôt. Le nom a alarmé certains milieux et l’information a dû remonter.
— Et de quoi ont donc peur les contrebandiers, qu’Orrin révèle un secret ?
— Je vous ai dit que les agences fédérales étaient trop occupées pour s’occuper de la corruption dans la police de Houston, ce qui est vrai. Mais des enquêtes ont été lancées sur le trafic des drogues de longévité. Findley, et ceux qui l’emploient, craignent qu’Orrin puisse servir de témoin, maintenant que son nom et ses antécédents sont dans la base de données. Vous voyez où ça mène ? »
Elle hocha lentement la tête. « À son état psychologique.
— Exactement. Admettre Orrin au State Care revient à le déclarer juridiquement inapte. Tout témoignage de sa part serait irrémédiablement compromis.