L’armée d’Italie donna le premier exemple de soldats se mêlant du gouvernement. Jusque-là, les armées de la République s’étaient contentées de vaincre ses ennemis. On sait qu’en 1797, il se forma, dans le conseil des Cinq-Cents, un parti opposé au Directoire[15]. Les projets des meneurs pouvaient être innocents, mais certainement leur conduite les exposait au soupçon. Quelques-uns étaient royalistes, on ne peut en douter; la plupart peut-être n’avaient d’autre intention que de mettre un terme au gouvernement arbitraire et à la scandaleuse corruption du Directoire. La marche qu’ils adoptèrent, fut de retirer les impôts au gouvernement et de soumettre ses dépenses à une enquête rigide. Le Directoire, de son côté, profitant des effets de ce plan d’attaque, répandit dans les armées que toutes les privations qu’elles éprouvaient, étaient l’effet de la trahison du Corps Législatif qui cherchait à détruire les défenseurs de la Patrie pour pouvoir ensuite rappeler librement les Bourbons. Le général en chef de l’armée d’Italie encouragea publiquement ces bruits dans une proclamation à ses troupes. Cette armée osa envoyer des adresses au gouvernement. Elle se permettait des reproches, aussi peu mesurés qu’inconstitutionnels, contre la majorité du Corps Législatif. Le dessein secret de Bonaparte était de suivre ces adresses et de marcher sur Paris avec une partie de son armée sous prétexte de défendre le Directoire et la République, mais, dans le fait, pour s’arroger une part principale dans le gouvernement. Ses projets furent renversés par la révolution du 18 fructidor, qui eut lieu plus tôt et plus facilement qu’il ne le croyait (4 septembre 1797, 18 fructidor an V). Cette journée qui détruisit complètement le parti opposé au Directoire, lui ôta tout prétexte de passer les Alpes. Il continua à parler des Directeurs avec le dernier mépris. L’incurie, la corruption et les fautes grossières de ce gouvernement faisaient le texte habituel de ses conversations. Il les terminait ordinairement en faisant remarquer aux généraux qui l’entouraient, que, si un homme parvenait à concilier la nouvelle manière d’être de la France à l’intérieur avec le gouvernement militaire, il pourrait facilement faire jouer à la République le rôle de l’ancienne Rome.
Chapitre VII
Idées politiques de Bonaparte
Quoique Napoléon ait dit à l’île d’Elbe qu’il continua à être bon républicain jusqu’à son expédition d’Égypte, quelques anecdotes racontées par le comte de Merveldt prouvent qu’à l’époque dont nous parlons, son républicanisme était déjà fort chancelant. Merveldt fut un des négociateurs autrichiens à Leoben et plus tard à Campo-Formio. Comme son premier intérêt était de faire tomber la République, il laissa entrevoir que le général Bonaparte était en position de se mettre à la tête de la France ou de l’Italie. Le général ne répondit pas, mais ne sembla pas du tout révolté; il parla même de la tentative de gouverner la France par des corps représentatifs et des institutions républicaines, comme d’une simple expérience. Encouragé par ces dispositions, Merveldt hasarda, avec l’approbation de sa cour, de lui proposer une principauté en Allemagne. Le général répondit qu’il était flatté de cette offre, qui ne pouvait provenir que de l’opinion distinguée qu’on voulait bien avoir de ses talents et de son importance, mais qu’il serait peu raisonnable à lui de l’accepter. Un pareil établissement devait tomber à la première guerre de l’Autriche contre la France. Si l’Autriche avait un fardeau inutile, et, si la France triomphait, elle proscrirait un citoyen perfide qui aurait accepté le secours de l’étranger. Il ajouta avec franchise, que son but était d’obtenir une place dans le gouvernement de sa patrie, et que, si jamais il pouvait mettre le pied à l’étrier, il ne doutait pas d’aller loin.
Chapitre VIII
Portrait de Bonaparte
Si Napoléon n’eût pas fait la paix de Campo-Formio, il pouvait anéantir l’Autriche et épargner à la France les conquêtes de 1805 et 1809[16]. Il paraît que ce grand homme n’était à cette époque qu’un soldat, entreprenant, doué d’un génie prodigieux, mais sans aucun principe fixe en politique. Agité de mille pensées ambitieuses, il n’avait aucun plan arrêté pour satisfaire son ambition.