Il fut fait général de brigade; mais, peu après, comme sa manière d’être et ses talents offusquaient tous les généraux de l’armée, ils écrivirent à Paris et le firent nommer à un commandement dans la Vendée. Napoléon avait de l’horreur pour la guerre civile, où l’énergie semble toujours barbare. Il courut à Paris; là, il trouva que non seulement on l’avait changé d’armée, mais encore qu’on l’avait fait passer de l’artillerie dans la ligne. Aubry, président du comité militaire, ne voulut pas écouter ses réclamations. On lui refusa jusqu’à la permission de passer en Orient. Il resta plusieurs mois à Paris sans emploi et sans argent. Ce fut alors qu’il se lia avec le célèbre Talma, qui commençait aussi sa carrière, et qui lui donnait des billets de spectacle, quand il pouvait en obtenir.
Napoléon était au comble du malheur. Il fut tiré de cette oisiveté sans espérance, qui choquait si fort son caractère, par Barras qui l’avait apprécié au siège de Toulon. Ce directeur lui donna le commandement des troupes qui devaient défendre la Convention contre les sections de Paris. Les dispositions prises par le jeune général assurèrent à la Convention une victoire facile. Il chercha à effrayer les citoyens de Paris et évita de les tuer (5 octobre 1795, 13 vendémiaire). Cet important service fut payé par la place de général en second de l’armée de l’Intérieur[5]. Il rencontra chez Barras Mme de Beauharnais; elle donna quelques louanges à sa conduite; il en devint éperdument amoureux. C’était une des femmes les plus aimables de Paris; peu de personnes ont eu plus de grâce, et Napoléon n’était pas gâté par ses succès auprès des femmes. Il épousa Joséphine (1796), et, bientôt après, au commencement du printemps, Barras et Carnot le firent nommer général en chef de l’armée d’Italie.
Chapitre IV
Guerre d’Italie
Il serait trop long de suivre le général Bonaparte aux champs de Monte-notte, d’Arcole et de Rivoli. Ces victoires immortelles doivent être racontées avec des détails qui en fassent comprendre tout le surnaturel[6]. C’est une grande et belle époque pour l’Europe que ces victoires d’une jeune République sur l’antique despotisme; c’est pour Bonaparte l’époque la plus pure et la plus brillante de sa vie. En une année, avec une pauvre petite armée qui manquait de tout, il chassa les Allemands des rivages de la Méditerranée jusqu’au cœur de la Carinthie, dispersa et anéantit les armées sans cesse renaissantes que la maison d’Autriche envoyait en Italie, et donna la paix au continent. Aucun général des temps anciens ou modernes n’a gagné autant de grandes batailles en aussi peu de temps, avec des moyens aussi faibles et sur des ennemis aussi puissants[7]. Un jeune homme de 26 ans se trouve avoir effacé en une année les Alexandre, les César, les Annibal, les Frédéric. Et, comme pour consoler l’humanité de ces succès sanglants, il joint aux lauriers de Mars l’olivier de la civilisation. La Lombardie était avilie et énervée par des siècles de catholicisme et de despotisme[8]. Elle n’était qu’un champ de bataille où les Allemands venaient le disputer aux Français. Le général Bonaparte rend la vie à cette plus belle partie de l’empire romain et semble en un clin d’œil lui rendre aussi son antique vertu. Il en fait l’alliée la plus fidèle de la France. Il la forme en république, et, par les institutions que ses jeunes mains essaient de lui donner, accomplit en même temps, ce qui était le plus utile à la France et ce qui était le plus utile au bonheur du monde[9].
Il agit dans toutes les occasions en ami chaud et sincère de la paix. Il mérita cette louange qui ne lui a jamais été donnée d’être le premier homme marquant de la République française qui mît des limites à son agrandissement et cherchât franchement à redonner la tranquillité au monde. Ce fut une faute sans doute, mais elle partait d’un cœur trop confiant et trop tendre aux intérêts de l’humanité et telle a été la cause de ses plus grandes fautes. La postérité qui apercevra cette vérité dans tout son jour, ne voudra pas croire, pour l’honneur de l’espèce humaine, que l’envie des contemporains ait pu transformer ce grand homme en monstre d’inhumanité[10].