La Meringue qui a étudié la parade se place en position de prise. Béru le souffle, boit le cassis et se fait piquer deux godets. Dans l'auditoire chacun retient sa respiration. Le Mastar se renfrogne. Il en a un petit coup dans les galoches, mon gros biquet, et ça ne lui facilite pas la gamberge. Il observe un moment la trogne tuméfiée de La Meringue afin de voir si les deux petits marcs n'auraient pas redémarré sa biture, mais non, l'autre demeure impavide, avec ses yeux en accent circonflexe attentifs comme ceux d'un lézard. On va vers du saignant, mes frères !
Il est évident que quelque chose de grand est en train de se rassembler, de s'édifier, de prendre vie. Le temps se démultiplie, ce qui est la manifestation suprême de l'intérêt général. On entendrait penser un gendarme. Chaque seconde pèse une tonne et fait mal aux bronches. Béru hésite entre essayer de ressoûler son vis-à-vis ou bien le prendre à la loyale. Généreux, il opte pour la seconde solution. S'il gagne cette belle, il le devra uniquement à ses capacités damières.
— Eh ben, le Cosaque du damier ! s'impatiente La Meringue, c'est à toi !
— C'est défense d'exercer des pressions sur l'adversaire ! proteste Béru.
Chacun chérit sa femme comme il l'entend. Alfred approuve véhémentement tout en flattant d'une main experte la croupe jumentesque de Berthy. Au geste on devine l'habitude. Il y a du coulé dans la caresse, un arrondi éloquent de la main qui sait par cœur les volumes sur lesquels elle s'égare.
Enfin le Mastar se risque à bouger un nouveau verre. La Meringue joue à son tour. Nous assistons à trois échanges sans conséquences directes. C'est le round d'observation. Les joueurs cherchent leur second souffle. Je vois Béru tisser une manœuvre sournoise, mais La Meringue la flaire itou et prend les mesures de parade.
Un journaliste du
Dès que le pognon entre en lice, le climat se modifie. Avec les gonzesses, y a rien qui détériore une ambiance autant que le fric. Prenez dix mecs paisibles, débonnaires, relaxes, heureux de vivre et d'être ensemble, et amenez une souris en piste, vous verrez ce chantier au bout de cinq minutes ! Même si la nana n'a pas la fraîcheur printanière ou la silhouette bardotière. Ou bien, au lieu d'une frangine, faites surgir une question de pesos parmi ces dix potes et attendez ! Les chevaliers à la longue bouille ils deviennent ! Ils dégagent de l'électricité. Quand ils se causent, il leur part des étincelles du clapoire en même temps que des syllabes.
Bien vite le ton grimpe, ici ! Les parieurs se mêlent à la partie vu que leur artiche est dans le circuit. Ils cessent d'être des spectateurs passionnés pour devenir d'âpres participants. Les tenants de La Meringue lui crient de faire gaffe lorsque le Gravos élabore un coup fourré et de même, ceux qui ont placé leur confiance et leur blé sur Béru l'accablent de conseils qui ressemblent à des ordres. Les deux pittoresques joueurs sont devenus les coulissiers d'une Bourse étrange ; des agents de change au service de leurs clients.
— Touche pas à ce pion, il va te becqueter !
— Pas comme ça ! Tu vas être fait aux pattes s'il bouge son godet de la troisième case !
L'enfer du jeu, mes fils ! Ça rend les adversaires fébriles. Ils perdent leurs moyens. J'essaie bien de calmer les esprits, mais en vain. On ne peut pas faire appel à la sportivité d'un homme lorsque ses piastres sont en jeux. Le