Il saute un verre de La Meringue, puis un autre, et un autre encore. Chaque fois, il enlève sa prise délicatement, de sa main gauche. Le damier se déplume, se déboise, devient plaine aride ! C'est l'anéantissement de la Vieille Garde à Waterloo. Un champ de blé qui s'affaisse sous la lame affamée du tracteur. Béru le dévaste méthodiquement. Il le pille. Il l'Attilise. Il le rogne. Il le dénude ; l'Ukrainise. Les spectateurs se sont rapprochés. Conscients de l'ampleur de cette feinte, les voilà qui comptent, en chœur, les prises de guerre du Béru. Ils l'aident, dans un élan farouche, à dénombrer son butin. Ils clament, comme on fait « Oh ! hisse !» pour poser des rails : « Et trois ! Et quatre ! Et cinq ! Et six ! Et sept !» Ils se taisent, jugeant la razzia terminée, mais non, il y a encore un petit gorgeon de beaujolpif égaré dans un angle qui doit se faire sucrer. Il y passe ! « Et de huit». Le coup du siècle en matière de dames ! La Meringue, même s'il gagne la belle ne s'en remettra jamais. Sa réputation est flétrie à jamais ! Il sera, jusqu'à la consommation des siècles, le réprouvé du damier ! Le bafoué du pion ! Cette prise inouïe, stupéfiante, spectaculaire, annihilante, marquera le grand tournant décisif de sa vie ! Elle est tellement grosse, tellement rare qu'au lieu de la cacher à sa descendance, il devra en faire état. C'est son nouveau péché originel ! La tare héréditaire qui souillera sa semence. Il en charriera les stigmates devant les foules silencieuses et répétera d'une voix brisée : « C'est à moi que Bérurier le fameux, Bérurier l'inoubliable a fait le coup des huit pions soufflés !»
Huit pions, mes fils ! Soit les deux tiers de ses effectifs…
Béru lui en ayant primitivement secoué trois, il ne lui en reste plus qu'un, ridicule, isolé, perdu dans l'immensité à carreaux du damier, si chétif, si misérable, si délaissé, si pitoyable que mon camarade au grand cœur murmure :
— Je pousserai pas pépère dans les orties en te proposant de jouer z'avec un pion, Mec. Ton petit dernier, je te l'offre histoire de te remettre de tes vapeurs.
La Meringue ne se le fait pas répéter deux fois. Il le gobe littéralement, comme une belon chétive. Puis, sur sa lancée, il siffle les pions blancs constituant les troupes victorieuses du Gravos et que ce dernier néglige. Pendant ce temps, le Mastar déguste sa prise sous les vivats. Berthe l'embrasse et lui dénoue sa cravate en vue de la troisième partie. Alfred l'éventé avec un numéro de l'
Ma belle Pomme rougeoie sous les effets conjugués de la gloire et du juliénas. Il sourit finement par-dessus sa moustache en poils de cul mal torché. Il modestise à faux, l'œil mi-clos, la lippe avantageuse.