A la fin du chapitre précédent, tellement riche en péripéties que je ne saurais trop vous conseiller de le faire encadrer, je ramassais le pistolet de feu M. Vergeot. Au contact gaufré de la crosse, je me dis que cette fois j'ai la situation bien en main. Une situation de 9 mm, croyez-moi, c'est une situation enviable. Mon projet, vous l'avez deviné sans peine, malgré votre notoire insuffisance de matière grise, consiste à retourner en loucedé au fourgon afin de faire à la gentille Valérie une surprise susceptible de la guérir à jamais du hoquet (qu'il soit sur glace ou sur gazon). Malheureusement, comme je me redresse, un cri terrible retentit, poussé par cette petite curieuse qui est venue en loucedé voir comment qu'on dessoude un commissaire.
Elle s'attendait à trouver Grouchy revolvérisé, manque de bol c'est Blûcher qui lui tombe sous la rétine, avec une cognée enfoncée jusqu'au milieu du corps. Notez qu'une hache c'est fait pour pénétrer dans des troncs après tout.
Folle de peur, la môme se met à cavaler éperdument vers son carrosse. Je la course aussi vite que je peux, mais avec mes deux mains arrimées sur le devant de mon académie et qui tiennent par surcroît un lourd revolver, je peux peu.
— Arrêtez, idiote ! lui crié-je.
Mais on n'arrête pas plus une nana dingue de trouille que le progrès ! Elle est drôlement véloce cette panthère ! Elle a pris son essor et je vous parie ce que vous savez, contre ce que j'aimerais, qu'elle a un tigre dans son moteur !
— Arrêtez ou je tire ! lui enjoins-je.
Mais elle ne s'arrête pas et votre San-A. bien-aimé, toujours galantin, s'abstient de défourailler. Si je tirais dans le dos d'une jolie femme vous me mépriseriez, pas vrai mes chéries? Or je tiens à votre estime autant (ou presque) qu'au contenu de votre Firestone à bretelles.
Elle me prend du terrain et saute dans son fourgon alors que je me trouve encore à cinquante mètres au moins d'icelui. En général quand on veut démarrer en trombe on tâtonne, on s'affole, on fait plein de fausses manœuvres. Valérie pas ! Vrrroum ! Le moteur tourne. Zzzim ! La première est passée ! Fllouf ! Un coup de sauce fait bondir le véhicule.
Ma parole elle va me faire marron, alerter la garde ! Pas de ça Suzette !
Je m'arrête, j'élève le feu de mes deux mains. Mais c'est duraille de viser quand il y a un silencieux au bout du canon. Le point de mire vous pouvez le mettre dans le kangourou, il ne sert plus à rien?
Heureusement que je suis médaille d'or de tir ! Je n'aurais été que médaille d'argent je ne pouvais répondre de rien.
Tfing ! Tfing ! Oing ! petrouiue dans la clairière. J'ai visé les boudins. L'arrière-droit morfle et éclate. Ce à l'instant précis où Valérie champignonnait à mort. Son bahut décrit une embardée terrible, quitte le chemin orniéreux et plonge dans la pente. Je le vois cabrioler un peu et percuter un gigantesque conifère déguisé en sapin.
Le pare-brise explose, le capot se rétrécit et le moteur cale. J'accours, je m'évertue ! La gosse est coincée entre la caisse du fourgon et l'arbre. Ses mains crispées sur le volant sont dressées, brandissant le cercle comme une auréole : Napoléon s'autosacrant. Quant à la tige de la direction, elle lui est entrée dans la poitrine. Pour tout vous dire, la môme est un peu morte. Un flot de sang jaillit de son corps sage. Sa tête est inclinée sur le côté. J'éprouve un intense sentiment de détresse. Je sais bien que ce vilain monde a largement mérité son sort, mais je n'aime pas bousiller mes contemporains. Je suis un pacifiste dans mon genre. J'aurais dû embrasser une vocation apte à ne pas me filer de l'urticaire sur la conscience ! Voilà qu'après avoir été le tombeur, je deviens l'hécatombeur de ces dames. Chienne de vie !
J'explore le camion-campinge, mais n'y trouve rien de particulier, sinon un revolver à crosse de nacre pour jeune-fille-en-vacances. Je me rabats donc sur le petit magnétophone, le biche par l'anse, et rebrousse chemin.
Quatre ou cinq bornes je me farcis par des chemins de campagne baignés de lune avant de retrouver la Nationale. Les montagnes environnantes scintillent dans la nuit estivale de même que le Léman, tout là-bas. La marche me nettoie la pensarde, c'est un bain de fatigue bienfaisant, un dopinge.