— Qu'est-ce qui t'arrive? m'enquis-je en lui emboîtant le pas, t'as déconnecté en lui faisant le miroir parabolique, Gros?
— Penses-tu !
Son semi-mutisme sème le trouble en mon âme d'élite. Je gravis les quatre étages de l'hôtel dans ses bretelles traînantes et nous pénétrons dans la chambre où devait se perpétrer la copulation du siècle. Madame Bérurier est assise sur le lit, le drap tiré sur les cuissots. Ses volumineux nichemars reposent sur ses genoux pareils à des cloches à melon. Elle vocifère, l'amazone du
— Écrase, Gamine, tranche Sa Majesté, j'ai pas l'habitude d'abandonner le gigot au four, mais y a des cas de faux majors, non !
Il explique, en montrant le plumard voisin.
— En nous pointant ici je suis été vérifier que le masseur dont à propos duquel causait La Meringue en écrasait bien. Il roupillait comme un ange. Rassuré, je me mets à l'établi et j'entreprends Berthy dans le savant, le velouté, pas vraie ma Grosse?
D'un battement de cils, B.B. ratifie.
— Et puis, poursuit l'Inépuisable, alors que j'y interprétais le grand air de la
— Parce que t'appelles ça un turbin? grince B.B., outrée.
Il lui flatte la bajoue d'une caresse.
— Manière de causer, ma Très Belle, tu vas pas me chipoter le mot, c'est le dont à quoi il se rapporte qui compte.
Revenant à son récit, La Béruche poursuit.
— En amour, assure l'Edifiant, tu peux pas te permettre d'être distrait. C'est comme si tu ferais ta déclaration d'impôts en écoutant Maurice Biraud, pour le coup t'as vite fait d'inscrire la grand-mère à charge dans la colonne des revenus ! Vlà donc que je cavale au lavabo pour arrêter ce clap-clap. Mais le robinet gouttait pas. Je trouve enfin la source du bruit. Ça venait de sous le pageot du masseur. « Ça y est que je me dis, cet animal est tellement chlass qu'il s'oublie dans les toiles.» Je regarde (Il m'oblige à me pencher.) Et vise un peu ce que je mate !
Je tressaille en découvrant une large flaque de sang en train de noircir sous le plumard du voisin de chambrée.
Béru s'approche du dormeur (ô combien endormi !) et, rabattant le drap, me montre quelque chose de pas joli. Un plaisantin a vidé un plein chargeur de pruneaux dans le bide du gars. Un vrai carnage ! De la bouillie !
— Tu parles d'un travail de bricoleur ! murmure Sa Majesté. Il avait pas le style orfèvre le gnace qui a fait ça !
Un hurlement ponctue. C'est Berthy qui l'a poussé. Elle vient de découvrir le défunt et ça la commotionne. Elle veut se sauver sans prendre le temps de réintégrer ses fringues. Elle est à loilpé, la pin-up Bérurière. Sa viandasse clapote autour de ses montants comme le chargement d'un âne bâté. Elle s'affaire, s'affole, s'affaisse, s'affale, s'afflige, mais la voix maritale, rude et riche, grasse et calme, la retient.
— Berthy, un peu de nerfs, quoi, merde !
Femme d'un homme d'élite, elle prend conscience de ses obligations, et, partant, de sa nudité. La voilà qui réintègre son slip et qui arrime son monte-charge.
— Qu'est-ce qu'il a eu? demande-t-elle en désignant le cadavre.
— Une indigestion de pruneaux, répond Sa Plaisante Majesté.
Je considère le mort. Un zig d'une quarantaine d'années aux traits brouillés par l'alcoolisme. Sa farine a l'air d'avoir été récemment retirée d'une marmite d'eau bouillante. Elle est toute boursouflée, toute cloquée, toute violacée. Le tord-boyaux ça vous marque un visage pire que la boxe. Il a les yeux fermés. Il est blond, avec des tifs rares et un front qui s'étale jusque derrière sa tête. Il commençait à rouler sur la toile, l'assassiné. J'avise une bouteille de scotch sur la table de noyé. Les fringues du zig sont jetées sur une chaise. Sans aucun doute on lui a défouraillé dessus pendant son sommeil… Je chope son porte-cartes dans la poche de son blouson de daim. Ce gentleman s'appelle Hans Brocation, profession : masseur. Nationalité : helvétique.
— Va chercher La Meringue, dis-je au Gros, mais ne l'affranchis pas de ce qui se passe. Tu me l'amènes en douce…
Au lieu d'obtempérer, le Gros se tortille.