Désillusion ! Faillite ! Abîmes insondables ! Culbute dans l'amertume ! Chute libre dans le néant ! Dépression ! Dur impact avec la non moins dure réalité ! Nous avons été flouzés, blousés, feintés, brossés, cocus. Vao Dan Sing n'est pas l'amazone éperdue d'amour que je croyais ! Elle n'est pas la Cavalière annoncée à l'extérieur ! Vao Dan Sing est une garce ! Vao Dan Sing est une judasse ! Vao Dan Sing est une salaude !
— Pas un geste ou vous êtes morts ! s'écriat-elle en s'avançant.
Bérurier qui revient de sa stupeur comme on remonte des fonds marins, en effectuant des paliers de décompression, murmure :
— Elle est bath ta sauveuse, pauv' cloche ! Comment qu'elle t'a pigeonné, la Miss réglisse.
Ma commotion est trop forte pour que je puisse répondre.
— Les mains en l'air ! clame la fille.
Nous obéissons. Elle a un sourire maléfique, on sent qu'elle prend son panard plus intensément que tout à l'heure.
— Vous êtes un imbécile, mon cher, me fait-elle rageusement. Lang Fou Ré, ma crapule de cousin, jouait franc jeu avec vous. Il a été mal inspiré en venant à la maison, car je suis présidente de la Section des Dragons Rouges du Kremlin Bi Sètre.
— Bravo, murmuré-je, vous avez magnifiquement manœuvré, et d'une façon très agréable, Vao. C'est un ravissement que d'être arnaqué dans de pareilles conditions !
Je biaise, car j'ai la rage au cœur. Et voici que le fichtre me prend. J'agis sans le vouloir, sans le savoir, impulsivement. Elle est devant moi.
J'abats mes bras levés sur elle, je la plaque contre ma poitrine, d'une étreinte irrésistible. Un littérateur moyen dirait que je m'en fais un vivant bouclier. Elle a beau gigoter, cette vipère lubrique, je la cramponne ferme.
Le mitrailleur poussa un cri terrible. Ça doit signifier : « Lâchez-la sinon je défouraille ». Il a eu tort de glapir si fort.
Cyprien a horreur qu'on fasse du suif dans son espace vital. Il fonce sur la camionnette, d'un bond léopardien, il bondit sur le plateau et culbute la mitrailleuse et le mitrailleur en filant des coups de boule à la ronde.
Les quatre flicards s'évacuent en vitesse. Ils sont mauvais ! Ça commence à canarder. Je sens Vao toute molle dans mes bras. Elle vient d'effacer la première rafale. Bien fait pour elle !
C'est alors que j'assiste à du grand spectacle. Un super-gala signé Béru.
Au moment où les poulets ont sauté de la camionnette afin d'esquiver les charges forcenées du bélier, le Gros s'est payé le luxe d'en cueillir un par le ceinturon. Il le fait tourner à bout de bras, lui fracasse le bol contre un montant du véhicule et le propulse dans les cannes d'un second. Et puis sans perdre un quart de seconde il bondit dans le camion, relève la mitrailleuse et arrose au pied du plateau.
— Barre tes os, San-A ! exhorte le Magistral !
Je calte derrière une pile de caisses. C'est dantesque ce qui se passe, les gars ! Il est dans un état second, notre bon Gros. Inspiré :
En un rien de temps les quatre poulagas sont étendus dans la poussière, avec Miss Vao par-dessous.
— Arrête, crié-je.
Je cavale au volant, je démarre en trombe. Des gus radinent de toute part et même d'ailleurs.
Ça fourmille intensément. Je fonce dans le tas, le tas s'écarte. Nous passons, je déboule tant que ça peut à travers les ruelles étroites.
Tentatives vaines ! Fuite insensée ! Dans quelques minutes on nous donnera la chasse.
Peu importe. Avec le rire, la bagarre c'est le propre de l'homme.
CHAPITRE DIX
Pendant plus de vingt minutes rien ne se produit. Je roule en direction de l'Ouest, à fond de plancher, sur des chemins cahotiques. De temps à autre nous croisons une patrouille de police, mais les lettres peintes sur les flancs de la camionnette doivent signaler que notre véhicule appartient à l'administration car personne ne nous demande rien.
Et puis, tout à coup, deux phares puissants surgissent derrière nous, enveloppant notre bagnole dans une impitoyable lumière blanche.
Je mate dans le rétroviseur, inquiet. Est-ce le début de la chasse ?
Afin de m'en assurer je champignonne un peu plus. Effectivement, la voiture suiveuse force l'allure. Elle gagne du terrain sur nous. Je me jette sur un chemin de traverse, l'autre guinde en fait autant.
Pas de doute, c'est pour nous ! M'est avis les enfants, que c'est ici que les Athéniens s'atteignirent ! Je me demande si, à l'arrière de la camionnette, le cher Béru s'est aperçu de la chose.
Nous ne pouvons correspondre et c'est fort dommage.
Sans lâcher le volant, je file quelques vaches coups de poing dans la cloison de la cabine.
Un long bâillement me répond. Je suis prêt à vous parier une poignée de fèves contre une poignée de main que cette pomme-à-l'eau dormait. Mais il s'éveille. Il réagit. Il agit ! Il a compris qu'on nous donnait l'assaut. Alors il branche le projecteur fixé sur le plateau de notre chignole en plein dans les carreaux des poursuivants.