Dans une société d'officiers de marine, à bord d'un cuirassé
que l'on vient de me faire admirer («complètement fait en
U.R.S.S., celui-là») je me risque à oser dire que je crains
qu'on ne soit moins bien renseigné en U.R.S.S. sur ce qui se
fait en France, qu'en France sur ce qui se fait en U.R.S.S.,
un murmure nettement désapprobateur s'élève: «
Dans ce même camp modèle d'Artek, paradis pour enfants modèles, petits prodiges, médaillés, diplômés—ce qui fait que je lui préfère de beaucoup d'autres camps de pionniers, plus modestes, moins aristocrates—un enfant de treize ans qui, si j'ai bien compris, vient d'Allemagne mais qu'a déjà façonné l'Union, me guide à travers le parc dont il fait valoir les beautés. Il récite:
—Voyez: ici, il n'y avait rien dernièrement encore... Et, tout à coup: cet escalier. Et c'est partout ainsi en U.R.S.S.: hier rien; demain tout. Regardez ces ouvriers, là-bas, comme ils travaillent! Et partout en U.R.S.S. des écoles et des camps semblables. Naturellement, pas tout à fait aussi beaux, parce que ce camp d'Artek n'a pas son pareil au monde. Staline s'y intéresse tout particulièrement. Tous les enfants qui viennent ici sont remarquables.
»Vous entendrez tout à l'heure, un enfant de treize ans, qui sera le meilleur violoniste du monde. Son talent a déjà été tellement apprécié chez nous qu'on lui a fait cadeau d'un violon historique, d'un violon d'un fabricant de violons d'autrefois très célèbre 12.
»Et ici:—Regardez cette muraille! Dirait-on qu'elle a été construite en dix jours?»
L'enthousiasme de cet enfant paraît si sincère que je me garde de lui faire remarquer que ce mur de soutènement, trop hâtivement dressé, déjà se fissure. Il ne consent à voir, ne peut voir que ce qui flatte son orgueil, et ajoute dans un transport:
—Les enfants même s'en étonnent 13!
Ces propos enfants (propos dictés, appris peut-être) m'ont paru si topiques que je les ai transcrits le soir même et que je les rapporte ici tout au long.
Je ne voudrais pourtant pas laisser croire que je n'ai pas remporté d'Artek d'autres souvenirs. Il est vrai: ce camp d'enfants est merveilleux. Dans un site admirable fort ingénieusement aménagé, il s'étage en terrasses et s'achève à la mer. Tout ce que l'on a pu imaginer pour le bien-être des enfants, pour leur hygiène, leur entraînement sportif, leur amusement, leur plaisir, est groupé et ordonné sur ces paliers et le long de ces pentes. Tous les enfants respirent la santé, le bonheur. Ils s'étaient montrés fort déçus lorsque nous leur avons dit que nous ne pourrions rester jusqu'à la nuit: ils avaient préparé le feu de camp traditionnel, orné les arbres du jardin d'en bas de banderoles en notre honneur. Les réjouissances diverses: chants et danses qui devaient avoir lieu le soir, je demandai que tout fût reporté avant cinq heures. La route du retour était longue; j'insistai pour rentrer à Sébastopol avant le soir. Et bien m'en prit, car c'est ce même soir qu'Eugène Dabit, qui m'avait accompagné là-bas, tomba malade. Rien n'annonçait cela pourtant et il put se réjouir pleinement du spectacle que nous offrirent ces enfants; de la danse surtout de l'exquise petite Tadjikstane, qui s'appelle Tamar, je crois: celle même que l'on voyait embrassée par Staline sur toutes les affiches énormes qui couvraient les murs de Moscou. Rien ne dira le charme de cette danse et la grâce de cette enfant. «Un des plus exquis souvenirs de l'U.R.S.S.», me disait Dabit; et je le pensais avec lui. Ce fut sa dernière journée de bonheur.
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L'hôtel de Sotchi est des plus plaisants; ses jardins sont fort beaux; sa plage est des plus agréables, mais aussitôt les baigneurs voudraient nous faire avouer que nous n'avons rien de comparable en France. Par décence nous nous retenons de leur dire qu'en France nous avons mieux, beaucoup mieux.
Non: l'admirable ici, c'est que ce demi-luxe, ce confort, soient mis à l'usage du peuple—si tant est pourtant que ceux qui viennent habiter ici ne soient pas trop, de nouveau, des privilégiés. En général, sont favorisés les plus méritants, mais à condition toutefois qu'ils soient conformes, bien «dans la ligne»; et ne bénéficient des avantages que ceux-ci.
L'admirable, à Sotchi, c'est cette quantité de sanatoriums, de maisons de repos, autour de la ville, tous merveilleusement installés. Et que tout cela soit construit pour les travailleurs, c'est parfait. Mais, tout auprès, l'on souffre d'autant plus de voir les ouvriers employés à la construction du nouveau théâtre, si peu payés et parqués dans les campements sordides.
L'admirable, à Sotchi, c'est Ostrovski. (V. appendice.)
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