Jael n’avait pas encore paru dans un ciel pâle, mais la lumière de l’aube emplissait déjà le troisième niveau et révélait l’angle du cône. Orchéron avait l’impression d’être enfermé dans une gigantesque flèche à la pointe étincelante.
Il tourna en rond jusqu’à ce que le disque de l’astre du jour, déformé par les roches translucides, apparaisse au-dessus de la ligne d’horizon. Sa gorge et sa bouche sèches, douloureuses, réclamaient de l’eau. La créature avait un grand pouvoir apaisant, mais pas la vertu de le désaltérer ni de le nourrir. Une journée de plus dans ces conditions, et il n’aurait sans doute plus le courage de se révolter, sa vie s’arrêterait au dernier niveau de ce cône dont les bâtisseurs n’avaient certainement pas prévu qu’il se transformerait un jour en prison ou en tombeau.
Il observa les rayons rasants de Jael qui s’engouffraient à travers la roche translucide. Déviés par les blocs incurvés plus ou moins opaques, plus ou moins veinés, ils partaient dans tous les sens à l’intérieur de l’étage, s’échouaient sur le plancher ou sur les murs opposés en figures chatoyantes et complexes. Il remarqua, au ras du plancher, un bloc qui ne semblait pas produire le même effet de diffraction. La lumière le pénétrait comme si elle ne rencontrait aucun obstacle et poursuivait sa route en ligne droite jusqu’à ce qu’elle s’échoue sur le pan opposé. Il s’en approcha et s’accroupit pour mieux observer le phénomène. Le bloc était d’une transparence presque parfaite, n’eussent été les lignes sombres et régulières qui le traversaient de part en part comme des veines parfaitement ordonnées. Il voulut y poser la main, faillit pousser une exclamation de surprise quand elle s’enfonça sans résistance, encore plus facilement que s’il l’avait plongée dans de l’eau. Il l’en retira, fiévreux, le cœur battant, se demandant s’il n’était pas la proie d’un délire, puis il réitéra son geste, insista, passa tout le bras, une partie de l’épaule et sut qu’il avait enfin trouvé la sortie.
Il s’introduisit au rez-de-chaussée de la construction, chercha des yeux la petite djemale, remonta au premier puis au deuxième étage. Il ne la trouva nulle part. Il ne lui fallut que quelques instants, cette fois-ci, pour repérer la sortie. Quand on en avait découvert le principe, le système était d’une évidence aveuglante (autre évidence aveuglante : Alma était plus douée que lui pour remarquer ce genre d’évidence) : plus claires, plus lumineuses, taillées dans une matière probablement artificielle, les issues se voyaient comme le nez au milieu de la figure. Il suffisait de les traverser et de dévaler le mur oblique du cône jusqu’au sol. Cependant, de même qu’on ne pouvait pas descendre des étages par les puits d’apesanteur, on ne pouvait pas entrer par les blocs de sortie dont la face extérieure était aussi compacte, aussi imperméable que leurs homologues de roche naturelle.
Orchéron avait eu peur de perdre l’équilibre lorsqu’il s’était retrouvé perché tout en haut du cône, mais il n’avait pas glissé, il avait marché avec la même facilité que s’il avait parcouru un plan horizontal. Les connaissances des anciens habitants de ces constructions l’avaient émerveillé. Les descendants de l’
Il se rendit sur la place centrale et hurla le nom d’Alma à plusieurs reprises. Sa voix se prolongea dans le silence comme au fond d’une gorge. Il n’obtint pour tout résultat qu’une recrudescence de sa soif, un gonflement de sa langue qu’il peinait de plus en plus à remuer à l’intérieur de son palais. Il visita plusieurs constructions, sans aucun résultat, puis finit par se résigner à l’idée que, déçue, elle avait quitté les lieux et s’en était retournée avec le Qval dans les sources bouillantes. Il ne songeait même pas à mettre en doute son périple avec la créature légendaire dans les eaux profondes du nouveau monde, il s’en voulait seulement de s’être montré si susceptible, d’avoir à ce point manqué de patience et de perspicacité. Quoi de plus normal pour une jeune fille esseulée sur un monde désert que d’être effrayée par l’apparition d’un homme inconnu, sale, mal rasé, à demi recouvert d’une créature vivante ?