Tu as donc des souvenirs ? Je croyais que l’éternel présent abolissait le passé ?
Moi, il m’arrive encore – souvent – d’être affectée par mes souvenirs.
Alma perçut le rire silencieux de Djema.
J’aurais voulu apprendre tant de choses de toi… Que tu me racontes la vie dans l’
Alma eut l’impression que le visage de Djema se déformait, se dérobait sous sa main, puis qu’il lui recouvrait le poignet, l’avant-bras, l’épaule, la poitrine, comme s’il se dilatait pour l’accueillir tout entière. Elle se sentit enveloppée d’une présence attentive, impalpable, comparable à la vapeur chaude bienfaisante qui montait du bassin d’eau bouillante.
Elle perdit les notions de centre, de limites, d’espace.
Elle courait dans des couloirs au plafond bas, elle se faufilait par des ouvertures étroites, elle traversait de grandes salles sombres et habillées d’une matière qu’elle ne connaissait pas, elle filait devant des hommes et des femmes qui discutaient sur le seuil de leur porte, elle croisait des enfants qui jouaient sur des places octogonales, elle se faufilait entre des chariots chargés de plateaux-repas qui avançaient sans aucune assistance, elle apercevait un curieux petit homme vêtu d’une robe noire, au crâne rasé et à l’allure sautillante, elle franchissait une ouverture circulaire, elle pénétrait dans une salle profonde d’où montaient des volutes blanches, elle passait dans un autre labyrinthe de couloirs et de places où les hommes se couvraient la tête de larges chapeaux et les femmes d’étranges coiffes coniques, elle glissait dans une succession de tunnels qui montaient et descendaient comme les toboggans de bois du mathelle de sa mère, elle plongeait dans l’eau bouillante de la cuve en compagnie de garçons et de filles, elle entendait des cris et des rires qui se désagrégeaient dans le silence…
Un silence plus profond encore que celui des eaux souterraines du nouveau monde.
Le silence du vide.
Elle se tenait entre un géant au visage et au crâne cabossés, au regard d’une douceur étrange, douloureuse, et une femme dont la beauté, déjà extraordinaire, se doublait d’une bonté qui donnait une grâce indescriptible à ses gestes, à ses expressions, à ses sourires.
Elle comprit que Djema lui avait ouvert sa mémoire, qu’elle avait déambulé à l’intérieur de l’
S’ils sont mes ancêtres, alors tu l’es aussi ! Comment peux-tu être si sûre que je suis de votre lignée ?
Pourquoi en ce cas n’avons-nous pas votre force ? Pourquoi avons-nous brisé votre rêve ?