Voilà Pip, et voilà les bittes du guindeau. Grimpe dessus! Allons, les gars!
LE MATELOT AÇORIEN
Vas-y Pip! Frappe, sonneur! Bing le, bang le, bong le, sonneur! Tires-en des lucioles! Brise les grelots!
PIP
Les grelots, dites-vous! En voilà encore un d’arraché tellement je cogne.
LE MATELOT CHINOIS
Alors, claque des dents et cogne toujours! Change-toi en pagode…
LE MATELOT FRANÇAIS
Joyeuse folie! Lève le cerceau, Pip, jusqu’à ce que je saute à travers! Déhanchez vos tournures! Fendez-vous!
TASHTEGO
Ça c’est un homme blanc, il appelle ça s’amuser. Hum! J’économise ma sueur, moi.
LE VIEUX MATELOT MANNOIS
Je me demande si ces joyeux gaillards savent sur quoi ils dansent. Moi je danserai sur votre tombe, certes… c’est la plus cruelle menace de vos femmes nocturnes qui remontent dans le vent au coin des rues. Ô Christ! Penser à ces flottes verdies, aux crânes rongés de mousse des équipages! Que voulez-vous? Vraisemblablement le monde n’est qu’une boule, à ce que disent les savants, alors autant en faire une salle de danse. Dansez, les gars, vous êtes jeunes, je l’ai été une fois!
LE TROISIÈME MATELOT NANTUCKAIS
La relève, oh! Ouf! C’est pire que de ramer après les baleines par le calme plat… Laissez-nous tirer une bouffée, Tash.
LE MATELOT LASCAR
Par Brahma! les gars, il va bientôt falloir amener les voiles rondement. Le Gange du ciel a changé en vent ses grosses eaux! Tu fronces les sourcils, Civa!
LE MATELOT MALTAIS
Ce sont les vagues… ce sont les bonnets de neige qui dansent à présent. Bientôt, elles secoueront leurs pompons. Et si toutes les vagues étaient des femmes, alors je me noierai et je danserai avec elles à jamais. Il n’est rien de plus doux sur la terre – le ciel n’a pas sa pareille – que ces poitrines chaudes et sauvages, furtivement surprises dans la danse, lorsque la tonnelle d’une étreinte dissimule ces grappes mûres et pleines.
LE MATELOT SICILIEN
Ne m’en parle pas! Écoute, le gars… ce rapide entrecroisement des membres… ces balancements souples… ces timidités… ces trémoussements! ces lèvres! ce cœur! ces hanches! ces frôlements… effleurer sans cesse et rien de plus! Ne pas goûter, juste regarder, sans cela vient la satiété. Hein, païen?
LE MATELOT TAHITIEN
Salut, sainte nudité de nos danseuses! Les Hula-Hula! Ah! Tahiti, la voile aux reins, les palmes hautes! Je demeure étendu sur ta natte mais elle ne repose plus sur ta douce terre! Je t’ai vu tisser dans les bois, ô ma natte! Je t’ai apportée jusqu’ici verte encore, mais à présent te voilà flétrie, usée. Ah! ni toi, ni moi n’avons pu supporter cet exil! Qu’en sera-t-il, si nous sommes transplantés au ciel? N’entends-je pas gronder les torrents qui descendent des cimes aiguës de Pirohitee, bondissent dans les rochers escarpés et viennent noyer les villages?… L’orage! L’orage! Redresse l’échine et va à sa rencontre!
LE MATELOT PORTUGAIS
Comme la mer éclate contre la coque! Soyez prêts à prendre les ris, mes braves! Les vents croisent le fleuret mais bientôt à la débandade ils vont se fendre.
LE MATELOT DANOIS
Craque, craque, vieille carène! Tant que tu craques, tu tiens bon! Bravo! Le second t’a durement en mains, il n’a pas plus peur que l’île du Cattegat, dont le bastion salé soutient le pilonnement furieux des tempêtes de la Baltique!
QUATRIÈME MATELOT NANTUCKAIS
Notez qu’il a des ordres. J’ai entendu le vieil Achab lui dire qu’il doit toujours viser le grain, un peu comme on tire au pistolet sur un jet d’eau, faire feu du navire droit dessus!
LE MATELOT ANGLAIS
Sacredieu! Ce vieil homme est un grand type! Et nous sommes ses hommes pour chasser sa baleine!
TOUS
Oui!… Oui!…
LE VIEUX MATELOT MANNOIS