À ce sujet, on peut bien déplorer que les tons de mâts d’un baleinier des mers du Sud ne soient pas nantis de ces enviables petites tentes, ou chaires, appelées nids-de-pie, qui protègent les guetteurs des baleiniers groenlandais contre les rigueurs des océans arctiques. Dans le livre à lire au coin du feu du capitaine Sleet, intitulé: «Un voyage parmi les icebergs, à la poursuite de la baleine du Groenland et à la re-découverte éventuelle des colonies islandaises perdues du vieux Groenland», dans cet admirable ouvrage, il est raconté en détail et de la façon la plus charmante comment les guetteurs en vigie à la hune sont pourvus, à bord du Glacier, le bon navire du capitaine Sleet, de ces nids-de-pie d’invention récente. Il les avait appelés Nids-de-pie de Sleet, car c’est lui qui les avait imaginés et réalisés et, libre de toute ridicule fausse modestie, jugeant que si nos enfants prennent notre nom (car nous, pères, sommes les inventeurs brevetés de nos enfants), tout dispositif que nous créons doit de même porter notre patronyme. Le nid-de-pie se présente comme un gros tuyau ou comme un fût, ouvert toutefois sur le dessus, où un écran mobile du côté du vent protège votre tête des tempêtes. Comme il est fixé au sommet du mât, on y accède par une trappe ménagée dans le fond. Sur le côté qui donne vers l’arrière du navire, se trouve un siège confortable, sous lequel un petit placard est destiné à ranger les parapluies, cache-nez et manteaux. Sur le devant, un casier de cuir permet de poser une pipe, le porte-voix, la longue-vue et les instruments nautiques. Lorsque le capitaine Sleet veillait en personne dans son sien nid-de-pie, il nous raconte qu’il avait toujours son fusil dans le casier, ainsi qu’une poire à poudre et des balles pour faire déguerpir les narvals, licornes vagabondes des mers, qui infestaient ces eaux, car on ne peut pas les tirer depuis le pont à cause de la résistance de l’eau, mais les tirer de cette altitude est une tout autre affaire. Ce fut nettement, pour le capitaine Sleet, une œuvre d’amour que de conter par le menu tous les agréments de son nid-de-pie, mais bien qu’il s’étende à perte de vue sur certains d’entre eux, et bien qu’il nous régale de rapports scientifiques sur ses expériences qu’il faisait, là-haut, avec un compas afin de corriger les erreurs provoquées par ce qu’on appelle «l’attraction locale» sur l’aiguille du compas de l’habitacle, attraction due au proche voisinage de fer dans les bordages, et peut-être dans le cas particulier du Glacier au fait qu’il y avait à son bord une équipe de dépannage si nombreuse de forgerons, je dis donc que, quoique le capitaine Sleet se montre si avisé et si scientifique dans toutes ses connaissances: «déviations de l’habitacle», «observations au compas azimutal» et «approximations d’erreurs», il sait très bien, le capitaine Sleet, qu’il n’était pas tellement plongé dans de profondes méditations magnétiques, qu’attiré, de temps en temps, vers le flacon carré fidèlement repourvu, et si gentiment installé, juste à portée de sa main, dans un coin de son nid-de-pie. Bien qu’en général, j’admire profondément et je dirais même que j’aime ce brave, honnête et savant capitaine, je trouve très laid de sa part d’avoir complètement passé sous silence ce flacon, conscient que je suis de l’ami fidèle et réconfortant qu’il dut être, tandis que, mitaines aux doigts et tête encapuchonnée, il se livrait à l’étude des mathématiques dans son altier nid d’oiseau à quelque 3 ou 4 perches du Pôle.
Mais si nous, baleiniers du Sud, nous ne sommes pas aussi confortablement logés dans les airs que le capitaine Sleet et ses Groenlandais, ce désavantage est largement compensé par la séduisante sérénité de ces mers si différentes sur lesquelles nous voguons le plus souvent. Le tout premier, je montai nonchalamment au gréement, m’attardant à tailler une bavette, avec Queequeg ou quiconque n’était pas de quart et que je venais à rencontrer, puis, poursuivant mon ascension, et jetant une jambe paresseuse par-dessus la vergue de hunier, je contemplai une première fois les pâturages marins, pour regagner enfin ainsi ma destination ultime.
Qu’on me permette ici de décharger ma conscience, et d’avouer franchement que j’étais un piteux guetteur. Ressassant le problème de l’univers, comment pouvais-je – entièrement livré à moi-même à une altitude si favorable à l’exercice de l’esprit – comment pouvais-je ne pas prendre à la légère mon devoir en obéissant aux ordres traditionnels à bord d’un baleinier: «Ouvrez bien l’œil au vent et donnez de la voix à chaque fois!»