Livre I (in-folio), Chapitre I: – le cachalot. Ce cétacé fut vaguement connu par les anciens Anglais sous le nom de Trumpo, physeter, et baleine à tête d’enclume; c’est l’actuel cachalot des Français, le Pottwal des Allemands, et le Macrocéphalus de la terminologie recherchée. C’est, sans aucun doute, le plus grand habitant du globe, le cétacé le plus redoutable à affronter, le plus majestueux d’aspect et enfin, de loin, celui qui a la plus grande valeur commerciale car c’est la seule créature qui fournisse le spermaceti, substance d’un prix inestimable. Nous nous étendrons, au cours du récit, sur toutes ses autres singularités. Je traiterai surtout de son nom pour le moment. Considéré du point de vue philologique, il est absurde. Il y a de cela quelques siècles, alors que sa personnalité était parfaitement inconnue, qu’on n’en tirait par hasard de l’huile que s’il se trouvait échoué, il semble qu’on pensait généralement que le spermaceti provenait d’un cétacé identique à celui que l’on nomme en Angleterre: baleine du Groenland ou baleine franche. On croyait également que ce même spermaceti était la liqueur séminale de cette baleine franche ce que suggère littéralement la première moitié du mot. En ces temps-là encore, le spermaceti était d’une extrême rareté et on ne l’utilisait pas pour en faire des bougies mais uniquement comme onguent et médicament. On ne pouvait l’obtenir que chez l’apothicaire, comme de nos jours vous y allez quérir une once de rhubarbe. Je pense que plus tard, lorsque fut connue la nature véritable du spermaceti, les marchands lui conservèrent son nom primitif afin d’augmenter sa valeur grâce à la notion de rareté qu’il impliquait. Mais la dénomination de baleine à spermaceti est enfin revenue à qui de droit.
Livre I, Chapitre II (la baleine franche): À certains égards elle est le plus vénérable des léviathans, ayant constitué le premier gibier poursuivi par les baleiniers. On lui doit ce qui est communément connu sous le nom de fanons ou de baleines, et l’huile dénommée «huile de baleine», peu cotée commercialement. Par les baleiniers, elle est indifféremment appelée: la baleine, la baleine du Groenland, la baleine noire, la grande baleine, la baleine vraie et la baleine franche. L’identité des espèces demeure très obscure sous ces noms de baptêmes si généreusement multipliés. Quelle est donc alors la baleine que je donne en deuxième exemple dans mes in-folios? C’est la grande mysticetus des naturalistes anglais; la baleine du Groenland des baleiniers britanniques, la baleine franche des baleiniers français, la Grönlandsval des Suédois. C’est la baleine qui, pendant plus de deux siècles, a été classée par les Hollandais et les Anglais dans les eaux arctiques; c’est celle que les Américains ont longuement poursuivie dans l’océan Indien, sur les bancs du Brésil, sur la côte nord-ouest et en bien d’autres régions du monde, qu’ils appelaient les parages de chasse à la baleine franche.
Certains prétendent différencier la baleine du Groenland des Anglais de la baleine franche des Américains, pourtant ils s’accordent quant à ses caractéristiques majeures et n’ont pas encore avancé un seul fait précis sur lequel appuyer une distinction fondamentale. C’est en raison de subdivisions sans fin, fondées sur des différences peu probantes, que certaines branches des sciences naturelles sont devenues d’une complexité rebutante. Nous parlerons plus longuement de la baleine vraie ailleurs, dans le but de porter une lumière sur le cachalot.