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Il était curieux et point déplaisant de voir à quel point ce moment critique affectait Peleg et Bildad, plus particulièrement le capitaine Bildad. Il avait le regret du départ, le regret très profond de quitter pour de bon un navire appareillant pour un si long, si périlleux voyage, au-delà des deux caps tempétueux, un bateau sur lequel étaient investis quelques milliers de ses dollars durement acquis, un bâtiment qui avait pour capitaine son ancien camarade de bord, un homme presque aussi vieux que lui, partant une fois de plus à la rencontre de toutes les terreurs d’une mâchoire sans merci, il avait le regret de dire au revoir à tout ce qui, pour lui, débordait d’intérêts de toute nature et le pauvre vieux Bildad s’attarda longuement; il arpenta le pont à grands pas inquiets, descendit en courant jusqu’à la cabine pour y dire un dernier mot d’adieu, remonta sur le pont et regarda au vent, regarda vers l’étendue sans fin de la vaste mer que nulle terre ne limitait plus jusqu’aux lointains et invisibles continents de l’est; regarda vers la côte et regarda le ciel; regarda à droite et puis à gauche; regarda partout et nulle part, amarra machinalement une manœuvre courante à son cabillot, saisit convulsivement la main du vigoureux Peleg, et levant un fanal, le regarda héroïquement pendant un moment en plein visage comme pour dire: «Pourtant, ami Peleg, je peux supporter cela, oui je le peux.»

Quant à Peleg, lui, il prenait la chose avec plus de sagesse, mais malgré toute sa philosophie, le fanal approché de trop près révéla une larme brillante. Lui aussi, il courut de la cabine au pont: un mot en bas, un mot à Starbuck le second.

Puis enfin, après un dernier regard circulaire, il se tourna vers son compère: «Capitaine Bildad, allons vieux camarade, il nous faut partir. Coiffez la grande vergue! Ohé du canot! Parez à l’accostage! Doucement, doucement! Allons, Bildad, mon garçon, dis ton dernier mot. Bonne chance Starbuck, bonne chance Monsieur Stubb, bonne chance Monsieur Flask – au revoir et bonne chance à vous tous – et dans trois ans jour pour jour un souper fumant vous attendra dans le vieux Nantucket. Hourra et en route! – Dieu vous bénisse et vous ait en sa sainte garde, murmura le vieux Bildad de façon presque inintelligible, j’espère que vous aurez du beau temps afin que le capitaine Achab soit bientôt parmi vous; un beau soleil, voilà tout ce dont il a besoin et vous en aurez largement dans les tropiques vers lesquels vous partez. Soyez prudents dans votre chasse, vous les seconds. Ne maltraitez pas inutilement les pirogues, vous les harponneurs, les bons bordés de cèdre blanc ont monté de trois pour cent au cours de l’année. N’oubliez pas non plus vos prières. Monsieur Starbuck, veillez à ce que le tonnelier ne gaspille pas les douvelles de rechange. Oh! les aiguilles à voiles sont dans le coffre vert! Ne chassez pas trop les jours du Seigneur, hommes, mais ne laissez pas non plus passer une belle occasion, ce serait repousser les dons du Ciel. Jetez un œil sur le tierçon de mélasse, Monsieur Stubb, il coule un peu, je crains. Si vous relâchez dans les îles, Monsieur Flask, méfiez-vous de la fornication. Au revoir, au revoir! Ne gardez pas ce fromage trop longtemps dans la cale, Monsieur Starbuck, il s’abîmerait. Économisez le beurre, vingt cents la livre il coûte, et prenez garde, si…

– Allons, allons, capitaine Bildad assez palabré, en route! sur ces mots, Peleg le pressa de passer la muraille et tous deux sautèrent dans l’embarcation.

Le navire et la chaloupe s’écartèrent et entre eux s’engouffra le vent humide et froid de la nuit, un goéland les survola en criant; les deux coques roulèrent sauvagement. Le cœur lourd, nous poussâmes trois hourras et, pareils au destin, nous plongeâmes aveuglément dans la solitude océane.

<p id="_Toc186187843">CHAPITRE XXIII <emphasis>Terre sous le vent</emphasis></p>

Dans un chapitre précédent, il a été question d’un dénommé Bulkington, un marin de haute stature, fraîchement débarqué et rencontré à l’auberge de New Bedford.

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