C’est un chasseur de baleines qui a donné au monde aux yeux dessillés cette grande Amérique des antipodes, l’Australie. Après la première découverte qu’en fit par erreur un Hollandais, tous les autres navires fuirent ses côtes barbares comme la peste, mais le baleinier y relâcha, et c’est lui qui a vraiment enfanté cette colonie à présent puissante. De plus, à l’aube des premiers établissements australiens, les émigrants furent plusieurs fois sauvés de la famine par le charitable biscuit du baleinier venant, par bonheur, mouiller l’ancre dans leurs eaux. Les îles innombrables de la Polynésie s’accordent à attester une même vérité et rendent hommage au commerce fait avec les baleiniers qui ouvrirent la voie aux marchands et aux missionnaires, et en bien des cas les amenèrent eux-mêmes à destination. Et si ce pays deux fois verrouillé qu’est le Japon devient une fois hospitalier, c’est au baleinier seul qu’en reviendra un mérite qu’il est sur le point de gagner.
Si, résistant à toutes ces preuves, vous persistez à déclarer que rien de noble, rien de beau n’est lié à la pêche à la baleine, alors je suis prêt à rompre ici cinquante lances avec vous et à vous désarçonner à chaque coup, le heaume fendu.
La baleine n’a pas son auteur célèbre, sa chasse pas de chroniqueur fameux, direz-vous.
C’est bien vrai, mais les baleiniers eux-mêmes sont de pauvres diables, ils n’ont pas de sang bleu dans les veines.
Soit encore! mais cependant tout le monde trouve quelque chose de peu honorable à la pêche à la baleine.
Pas respectable, la chasse à la baleine? La chasse à la baleine est impériale!
Une vieille loi statutaire anglaise la déclare «poisson royal».
Oh! ce n’est qu’un mot! La baleine n’a jamais joué de rôle éclatant d’aucune manière.
Lors de l’un des grands triomphes célébrés en l’honneur d’un général romain entrant dans la capitale du monde, les fanons d’une baleine, transportés depuis la côte de Syrie, furent la plus grande attraction d’une procession entraînée au son des cymbales.
Je le crois puisque vous le dites, mais dites tout ce que vous voulez, il n’y a pas de dignité véritable dans la chasse à la baleine.
Quant à moi, si, par chance, une puissance non encore révélée est en moi, si je mérite jamais quelque vraie réputation dans ce monde avare, à laquelle je puisse raisonnablement prétendre; si j’accomplis dans l’avenir quelque chose qu’un homme, somme toute, préfère avoir fait plutôt que laisser à faire; si, à ma mort, mes exécuteurs testamentaires, ou plus probablement mes créanciers, trouvent quelque précieux manuscrit dans mon bureau, j’en impute d’ores et déjà ici tout l’honneur et toute la gloire à la chasse à la baleine, car un navire baleinier fut mon Yale et mon Harvard.
CHAPITRE XXV
Pour prouver la dignité de la chasse à la baleine, j’aimerais n’avancer que des faits établis. Fort de ceux-ci, un avocat qui tairait tout à fait une conjecture raisonnable, représentant un atout majeur en faveur de sa cause, ne serait-il pas à blâmer?