– Miséricorde! Queequeg ne vous asseyez pas là, lui dis-je.
– Oh! joli bon siège, dit Queequeg, mon pays coutume. Fera pas mal figure lui.
– Sa figure! dis-je, vous appelez ça sa figure? Elle a une mine fort bienveillante alors; mais comme il a de la peine à respirer; levez-vous, Queequeg, vous êtes lourd, vous lui écrasez la figure, à ce pauvre. Debout, Queequeg! Il va vous secouer de là, bientôt. Je m’étonne qu’il ne se réveille pas.
Queequeg s’installa alors juste derrière la tête du dormeur et alluma son tomahawk-pipe. Je m’assis aux pieds. Nous nous passions la pipe par-dessus le dormeur. Tout en fumant, répondant à sa manière incohérente aux questions que je lui avais posées, Queequeg me laissa entendre que, dans son pays, en l’absence de causeuses et de sofas d’aucune espèce, les rois, les chefs et tous les grands en général avaient coutume d’engraisser quelques individus des basses classes en guise de divans, et de meubler ainsi une maison très confortablement, vous n’aviez qu’à acheter huit ou dix paresseux et à les disposer dans les trumeaux et les alcôves. D’autre part, ils présentaient de gros avantages lors d’une promenade, ils étaient de beaucoup supérieurs à ces chaises de jardin qu’on peut replier afin qu’elles servent de cannes car, lorsque l’occasion s’en présente, le chef peut transformer son escorte en canapé s’il désire s’asseoir sous un arbre croissant peut-être dans un sol humide ou marécageux.
Tout en racontant son histoire, chaque fois que je lui repassais la pipe, Queequeg en brandissait le côté hache sur la tête du dormeur.
– Pourquoi faites-vous cela, Queequeg?
– Joli facile touer lui, oh! joli facile…
Il évoquait de sauvages souvenirs au sujet de sa pipe-tomahawk qui semblait avoir eu la double fonction de défoncer le crâne de ses ennemis et d’apaiser son âme, lorsque le gréeur endormi attira notre attention. La fumée acre avait complètement rempli ce trou resserré et commençait à agir sur lui; il respirait comme s’il avait été bâillonné, puis il présenta des troubles nasaux, se tourna enfin une ou deux fois, puis s’assit et se frotta les yeux.
– Holà! souffla-t-il finalement, qui êtes-vous, fumeurs?
– Des enrôlés, répondis-je, quand est-ce qu’il part?
– Oui, oui, vous partez avec, hé? Il part aujourd’hui. Le capitaine a rejoint le bord la nuit dernière.
– Quel capitaine? Achab?
– Qui sinon lui?
J’allais lui poser d’autres questions au sujet d’Achab lorsque nous entendîmes un bruit sur le pont.
– Holà! Starbuck est debout, dit le gréeur. C’est un second actif, celui-là, bon diable et pieux, mais tout à fait actif à présent, faut que j’aille. Sur ce, il monta sur le pont où nous le suivîmes.
Le soleil se levait. Les hommes arrivaient par groupes de deux ou de trois, les gréeurs se démenaient, les seconds s’affairaient et plusieurs hommes à quai s’empressaient à embarquer encore les derniers colis. Pendant ce temps, le capitaine Achab demeurait invisible, enchâssé dans sa cabine.
CHAPITRE XXII
Enfin, vers midi, après qu’on eut renvoyé les gréeurs à terre, après que le
– À présent, monsieur Starbuck, êtes-vous sûr que tout soit en ordre? Le capitaine Achab est parfaitement prêt, je viens de lui parler, plus rien à prendre à terre, hein? Alors, appelez tout l’équipage, rassemblement à l’arrière… le diable les emporte!
– Inutile de blasphémer, même si le temps presse, Peleg, dit Bildad, mais va, ami Starbuck, et exécute notre ordre.
Quoi! Jusqu’à l’extrême dernière minute avant le départ, le capitaine Peleg et le capitaine Bildad gardaient la haute main sur le commandement comme s’ils allaient être co-officiers en mer comme ils semblaient l’être au port. Quant au capitaine Achab, rien ne trahissait son existence, mais il était, disaient-ils, dans sa cabine. Tout donnait à penser que sa présence n’était à aucun égard nécessaire aux préparatifs d’appareillage, ni pour mener le navire en haute mer. En vérité, cela ne le concernait en rien, c’était l’affaire du pilote; d’autre part, comme il n’était pas tout à fait remis – disaient-ils – le capitaine Achab restait dans sa cabine. Tout cela paraissait assez naturel. Dans la marine marchande en particulier, nombre de capitaines ne se montrent sur le pont que fort longtemps après avoir levé l’ancre, mais restent à la table de la cabine, célébrant leur départ avec leurs amis qui demeurent à terre avant qu’ils ne quittent tout de bon le navire avec le pilote.