Читаем Mange et tais-toi полностью

Je m'aperçois que, dans mon souci de bien faire, j'ai brûlé toutes mes allumettes. Pour allumer le solde il va falloir tirer au fusil. Seulement, la manœuvre consistant à troquer ma Thompson contre mon Lebel va prendre un temps fatal, voilà ce que je me dis à une vitesse supersonique. Heureusement, Curtis qui se tenait prêt vient de défourailler sur le dernier soldat valide. Cézigue s'allonge pour voir s'il ne trouverait pas un trèfle à quatre feuilles car il a un urgent besoin de chance. Hélas! pour lui, le Gros opère son numéro de cirrus et pan pan, les deux projecteurs restituent à la nuit la totalité de ses droits. Pour le coup, le sparadrapeux crache ses valdas au jugé, mais lorsqu'on vient d'abandonner l'intense lumière des projecteurs pour la timide loupiote de la lune ennuagée on ne peut prétendre faire la nique à Buffalo Bill. Sa quincaille part à dache, et il saute dans le zoziau pour essayer de gagner du temps en s'y barricadant. L'alerte vient d'être donnée et, croyez-moi, si on ne décolle pas tout de suite et même plus vite que ça, on risque fort d'effacer un sacré tir de barrage.

L'homme aux lunettes essaie de refermer la lourde. Il pèse de toutes ses forces sur le panneau. S'il arrive à assurer le système intérieur, c'en est fait de nos projets. Pas de ça, Lisette. J'appuie le canon du colt contre la portière et je pruneaute. Pour le coup, le champion de la tortore acoustico-visuelle cesse de résister et nous grimpons à bord. C'est le moment que choisit Olga pour nous fausser compagnie. Mais vraiment, elle est mal inspirée, car le Gros qui s'annonce lui fracasse la tête d'un formidable coup de crosse avant de grimper à bord.

— Ça lui apprendra à vivre! déclare-t-il en guise d'oraison funèbre.

Je reborde sur Béni. Curtis est déjà aux commandes et le moteur vrombit. Les larges pales de l'hélicoptère couchent les herbes et font frissonner les cheveux d'Olga. L'appareil se dandine, puis s'élève. Des balles crépitent depuis le camp. Quelques-unes traversent le fuselage, mais sans nous atteindre. Avec une sûreté réconfortante, Curt pique sur la jungle. La lune, un instant dégagée, fait galoper l’ombre de notre zinzin sur les frondaisons vert clair.

Le nez collé à un hublot, Béru fait adieu de la main aux menues silhouettes qui fourmillent dans les lumières du camp.

— Bons baisers, caresses aux enfants, leur dit-il, on vous enverra des cartes postales.

Je me penche sur le type aux lunettes. Il est clamsé. Comme un mort n'a jamais eu besoin de bésicles, fussent-elles munies de verres teintés, j'arrache les siennes. Cette fois, je suis absolument certain de connaître l'homme. Mais je ne parviens pas à le localiser exactement dans mes souvenirs. Ce que je sais, par contre, c'est que nos relations furent brèves et récentes et que… Sapristi!

— Béru! appelé-je.

Je lui montre le défunt. Le Mastar s'écarquille les vasistas au point qu'on pourrait apercevoir le fond de son slip si celui-là était clair.

— Mais, je rêve, dit-il.

— Non, Gros.

— C'est l'officier amerloque dont avec lequel je m'ai chicorné hier dans les rues de Saigon?

— En chair et en os, sinon en vie, mon pote!

— Alors c'était un espion, lui aussi.

— Il devait déjà nous filer le train en accord avec Olga. Ah, nous étions drôlement mitonnés, mon pote!

— Quelle histoire! soupire le Gros. Mais enfin on a pu se tirer les nougats de la taupinière. Et en somme, on a réussi la mission dont tu nous avais confiée, puisque l'ami Curtis est lui aussi saint et chauve.

Curt reprend du poil de la bestiole, moi je vous l'annonce.

— Et tu en déduis que je joue un double jeu, Tony?

— Cela venant s'ajouter au reste, avoue qu'il y a de quoi être troublé.

— Qu'appelles-tu le reste?

— Bédame, ta condamnation à mort. Les Ricains ne sont pas des gamins. S'ils décident de fusiller un de leurs plus brillants officiers, c'est parce qu'ils ont réuni suffisamment de preuves contre lui. Au début, j'ai joué l'erreur judiciaire avec ta soi-disant lettre que ta soi-disant femme me brandissait en sanglotant. Mais…

Il pilote calmement. Sa barbe a poussé. Il se dégage de toute sa personne un je ne sais quoi de sauvage et de romantique qui surprend, trouble et inquiète.

— Je t'aime fils, Tony! dit-il sans me regarder, je ne réponds pas, il ajoute: — Aussi, ça me fait de la peine, la façon dont tu as été empaillé en beauté…

— C'est-à-dire, articulé-je avec la bouche plus sèche qu'une pierre à aiguiser perdue en plein Sahara.

— Tu as gobé tous les bobards, depuis l’histoire de ma fausse épouse jusqu'à maintenant, où, tu estimes que le mort qui nous accompagne est un espion russe.

Il rit. Pas méchamment, mais avec amusement; comme on rit en voyant qu'un ami ne parvient pas à trouver la devinette qu'on lui a posée.

— Parce que, grogne Béru qui écoute à l'arrière, le gus que j'ai tabassé ne nous surveillait pas, peut-être?

— Je suppose que si.

— Eh bien alors?

— Alors, il se trouve que cet homme est un officier des services de renseignements américains…

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